Cela fait longtemps que je n’avais pas évoqué un anime, et encore moins une production récente, mais j’ai récemment eu un petit coup de cœur sur Saenai Heroine no Sodatekata (ou Saekano pour les intimes) et j’avais envie d’en parler plus en détails.
Aki Tomoya est un lycéen en apparence banale qui travaille à mi-temps pour financer sa passion pour la culture otaku sous toutes ses formes. C’est pourquoi sa rencontre inattendue avec une belle inconnue va lui fournir un élan d’inspiration fulgurant et le pousser à créer son propre visual novel. Il espère ainsi faire naître l’héroïne la plus moe de tous les temps, capable de faire fondre le cœur de tous les lecteurs. Sauf que la fille réelle sur laquelle il compte modeler son héroïne ne possède pas vraiment les caractéristiques attendues…
(Pas de son disponible pour l'opening, désolée)
Saekano est adapté d’une série de light novel en cours écrit par Fumiaki Maruto, un scénariste relativement connu pour son travail dans le monde des visual novel. C’est par exemple lui qui s’est occupé du dernier blockbuster de Leaf/Aquaplus, White Album 2, ainsi que plusieurs titres plus obscurs (dont Sekai de Ichiban Dame na Koi). Autant dire qu’il maîtrise donc son sujet et que la liberté dont il dispose ici lui autorise quelques piques ça et là sur le « déclin de l’industrie ». Aux illustrations du light novel, on retrouve également quelqu’un de familier avec l’univers du visual novel, Misaki Kurehito, qui a par exemple œuvré au character-design de Ushinawareta Mirai wo Motomete – A la recherche du futur perdu et qui possède une patte colorée assez impressionnante. L’origine relativement atypique explique probablement l’originalité dé Saekano : c’est en effet une série qui réussit le tour de force, non pas de subvertir la comédie harem en profondeur, mais de rafraîchir une formule pourtant désuète et horripilante. C’est un genre qui me sort particulièrement par les trous de nez à cause de son manque flagrant de personnalité : non seulement il en sort des barquettes tous les ans, avec un schéma relativement similaire et des personnages très codifiés, mais en plus les mêmes gags s’y retrouvent à l’identique et il y a souvent un abus de fanservice assez irritant (et vas-y que je te re-sers un gros plan sur les nichons qui gigotent d’une héroïne jusqu’à l’écœurement). Bref, c’était mal parti à la base ! Et pourtant…
Attention légers spoilers un peu partout, passez directement à la partie réalisation si vous voulez tout découvrir \!/
Le cast : un héros pas si ordinaire, un triangle bancal et des exceptions
Tout bon harem qui se respecte, Saekano se devait d’inclure un cast à base de héros ordinaires et de charmantes demoiselles se battant pour ses faveurs.
Le héros en question, Aki Tomoya, est doublé par Yoshitsugu Matsuoka (Kirito de Sword Art Online, Sora de No Game No Life). Malgré un design de binoclard assez typé, il réussit à faire preuve de personnalité ! Tomoya est notamment caractérisé par ses grands discours enflammés sur la culture otaku, un des éléments comiques de la série, et sa passion est la source de bien des situations. S’il ignore effectivement les avances des femmes autour de lui, comme n’importe quel héros de harem, Saekano arrive à dessiner une double justification : en effet Tomoya éprouve un désintérêt sincère pour le fait d’obtenir une petite amie (il préfère la 2D) et les relations qui le lient aux haremettes sont en fait dysfonctionnelles dès le départ (mais j’y reviendrais).
Eriri la blonde et Utaha la brune : le feu et la glace
Les haremettes en question sont finalement en nombre réduit puisqu’il s’agit majoritairement d’un triangle amoureux voué à l’échec. La première demoiselle qui nous est introduite est Eriri Spencer Sawamura (doublée par Saori Oonishi), l’amie d’enfance du héros. Ses origines étrangères (son père est anglais), son petit air d’ojou-sama et ses couettes blondes en font une des coqueluches de l’école. Or Eriri est en fait une « Switch Girl » : elle porte un masque en public pour se faire paraître parfaite, mais cela ne correspond pas à sa personnalité réelle. En mode Off, elle remet ses lunettes, un vieux jogging et dessine des doujin pornographiques très populaires dans le milieu (sous le pseudonyme de Kashiwagi Eri), car c’est en réalité une otaku chevronnée. Elle est également assez caractérielle et hautaine, ce qui en fait une parfaite tsundere devant ceux qui connaissent son côté obscur. Sa relation avec le héros est assez instable puisqu’ils ne se reparlent en fait que depuis très peu de temps ; ils étaient brouillés pendant des années. Eriri est visiblement désireuse de retrouver un semblant de relation avec Tomoya mais peine à y arriver à la fois à cause de ses propres contradictions et des nouvelles personnes dans sa vie qui éclipsent l’avantage qu’elle pouvait avoir autrefois. Elle est en constante rivalité avec l’autre coqueluche de l’école…
Kasumigaoka Utaha, doublée par Ai Kayano (Meiko de Ano Hana, Inori de Guilty Crown, Shiro de No Game No Life), est l’opposée exacte de la flamboyante Eriri. Cheveux longs d’un noir de jais, poitrine généreuse, tempérament de glace, inutile de dire que leurs échanges sont souvent assez animés. Avec son naturel assez désinvolte et sarcastique, Utaha reproche souvent à Eriri d’être dans les apparences et de ne pas être honnête avec elle-même. Or, étant littéralement parfaite dans tout ce qu’elle entreprend, son talent énerve. Etudiante le jour, elle écrit des light novel romantiques à succès (sous le pseudonyme de Kasumi Utako). Sa relation avec Tomoya est tout aussi instable puisque c’est en réalité un de ses fans et qu’ils se sont également brouillés à cause de ce sujet, ce pourquoi elle le surnomme désormais « Monsieur Ethique » (Rinri-kun). Malgré cela, c’est de loin la personne que le héros respecte le plus et il la couvre régulièrement d’éloges, ce qui ne lasse pas d’attiser la jalousie d’Eriri.
On dirait un personnage doublé par Kana Hanazawa comme ça...
C’est sur ce triangle amoureux somme toute classique que vient se greffer la plus invraisemblable des haremettes : Katou Megumi (doublée par Kiyono Yasuno)…une fille ordinaire. Il est difficile de décrire le concept tant elle est insaisissable. Là où Eriri et Utaha représentent des personnages très typés (bien que pas dénués d’intérêt), aux personnalités extrêmes, Megumi est tout en subtilités, en paradoxes. Elle manque cruellement de présence mais écrase lourdement ses concurrentes d’un revers de la main. J’essayerai d’approfondir tout ça au fil de l’article mais en gros essayez d’imaginer Nami de Sayonara Zetsubou Sensei en héroïne principale…
Dans l'ordre, du plus loin au plus près
Aux côtés de ces protagonistes principaux assez restreints, gravite une petite poignée de personnages plus secondaires :
- Hyodo Michiru, doublée par Sayuri Yahagi (Haruna de To Love-Ru, Rima de Shugo Chara), la cousine de Tomoya qui possède un arc important mais n’apparait qu’à la toute fin de la série.
- Hashima Izumi, doublée par Chinatsu Akasaki (Nibutani de Chuunibyou), une collégienne et autre amie d’enfance de Tomoya qui sera le déclencheur de plusieurs évènements clefs.
- Hashima Iori, doublée par Tetsuya Kakihira (Sakutaro Morishige de Corpse Party, Natsu de Fairy Tail, Mercutio de Romeo X Juliet, Simon de Gurren Lagan). Il était autrefois le meilleur ami de Tomoya avant de devenir son rival et c’est le grand frère d’Izumi.
Les relations (dysfonctionnelles) au cœur de l’intrigue
Une des particularités intéressantes de Saekano est de nous présenter des héroïnes typées mais relativement complexes et de mettre à l’honneur leur incapacité à se frayer un chemin vers le cœur du héros pour des raisons réalistes. Eriri comme Utaha ont ostensiblement des sentiments pour Tomoya mais un mur infranchissable les empêche d’être dans une relation saine et égalitaire.
Dans le cas d’Utaha, c’est le gouffre entre le fan et le créateur qui est mis en avant. Tomoya semble idéaliser son talent et la place sur une sorte de piédestal dont elle n’arrive jamais à redescendre, malgré ses efforts acharnés. Par exemple, il arrive régulièrement qu’Utaha et Eriri disent la même chose mais que ce soit son avis uniquement que le héros retienne. C’est notamment visible dans son arc où le spectateur apprend qu’elle avait proposé au héros de lire son manuscrit en avance mais que celui-ci avait refusé pour des raisons d’éthique (d’où son surnom). Or maintenant que Tomoya souhaite fonder son propre studio de visual novel, il se sent prêt à devenir un créateur lui-même, et donc à franchir le gouffre pour se rapprocher de son idole. Malgré cela, Utaha reste « Kasumi Utako » dans son esprit, la « sempai » (au propre comme au figuré) intouchable. Le décalage est d’autant plus frappant lorsque l’on comprend que le succès des romans de la jeune fille est en grande partie dû aux articles élogieux que Tomoya a rédigés sur son blog (on en déduit qu’il est un blogueur influent), ce qu’il refuse de comprendre.
Dans le cas d’Eriri, c’est encore plus complexe. C’est elle qui a initié le héros à la culture otaku lorsqu’ils étaient enfants mais elle l’a lâchement abandonné à cause des brimades de leurs camarades de classe. C’est donc pour cette raison qu’elle cache désespérément sa passion et on comprend assez vite qu’elle regrette d’avoir agi ainsi et qu’elle surveille Tomoya de loin depuis des années sans vraiment oser l’avouer. Mais le malaise s’est bien évidemment installé entre eux et plus rien n’est comme avant. Le protagoniste semble relativement froid vis-à-vis d’Eriri justement parce qu’il lui en veut toujours et la fierté de la jeune fille l’empêche d’être honnête. C’est donc un chassé-croisé perpétuel qui s’installe entre eux : d’un côté Eriri recherche l’attention de Tomoya et s’effondre assez vite dès qu’elle pense être surpassée par une autre fille dans son cœur (notamment les autres amies d’enfance du héros), mais de l’autre elle prétendra toujours ne pas être intéressée par quelqu’un d’aussi insignifiant. On peut donc dire que ce comportement sonne faux (comme Michiru de Grisaia dont la grande aspiration dans la vie est de devenir tsundere) : Eriri fait semblant d’être une tsundere pour sauver les apparences et s’enfonce chaque fois un peu plus dans un grand bourbier qui l’éloigne de Tomoya.
A partir de là, on comprend que le triangle amoureux est en réalité voué à l’échec : malgré leur passif intéressant, aucune des deux héroïnes ne peut vraiment prétendre au cœur du héros puisque leur relation est complètement bancale ! C’est à cause de qualités purement techniques que Tomoya leur demande de rejoindre son studio, mais c’est par opportunisme tout bête qu’elles acceptent : leur désir de se réconcilier et de se rapprocher de lui. Et c’est bizarrement grâce à cela qu’Utaha et Eriri développe finalement leur propre relation toute aussi intéressante. Si le cœur comique repose bien sûr sur leurs altercations, on remarque petit à petit que les deux femmes se respectent mutuellement. C’est particulièrement vrai pour Utaha qui répond systématiquement à l’appel pour épauler Eriri : elle repère le malaise quand Tomoya retrouve Izumi, scénarise la réconciliation entre Tomoya et la blondinette (réconciliation qui sera ratée) et va même jusqu’à lui dire directement à quelques reprises qu’elle apprécie de travailler à ses côtés. Eriri est plus subtile mais elle fait tout de même régulièrement savoir qu’elle est du même avis que sa comparse et n’hésitera pas à la défendre lorsque sa proposition de scénario ne sera pas validée. Leur rapprochement tout en subtilité est particulièrement fascinant dans le sens où les héroïnes du genre harem ont généralement peu d’alchimie entre elles puisque leur vie tourne uniquement autour du mâle à conquérir. Ce n’est pas vrai ici puisque chacune possède une vie à côté (écrire des romans pour Utaha et dessiner des doujins pour de nombreux évènements pour Eriri), une vie assez exceptionnelle de surcroît, mais qu’en plus elles ont régulièrement un avis similaire du fait de leurs expériences respectives et finissent par se compléter sur le plan professionnel. Ce qui n’est pas moins source de gags : on pense par exemple à la bataille de deadline où chacune essaye de gagner du temps sur le calendrier de production, empiétant du même coup sur la deadline de l’autre.
La véritable héroïne était une fille ordinaire
Face à ces deux fortes têtes se dresse une rivale des plus inattendues : la fille ordinaire. Tout le pitch de Saekano tient sur la « fausse » rencontre entre Tomoya et Megumi : le héros est séduit non pas par la personne, mais par l’image pittoresque qui se dégageait de leur confrontation. Cette image embellie par son imagination (une fille en robe blanche en haut d’une colline un beau jour de printemps au milieu des cerisiers en fleurs) lui rappelle les visual novel dont il est fan et lui donne envie de créer une histoire d’amour à l’eau de rose où cette fille serait l’héroïne moe absolue. C’est bien évidemment une vision bourrée de clichés et tout le cast ne manquera pas de le lui faire remarquer mais Tomoya n’en démordra pas…jusqu’à ce qu’il se rende compte que l’inconnue en question fait partie de son entourage depuis près d’un an et qu’il ne l’avait juste jamais remarqué.
La particularité de Megumi est qu’elle est développée par petites touches tout le long de la série, et non par un arc spécifique comme les autres héroïnes (même si les trois premiers épisodes dédiés à l’introduction la mettent particulièrement en avant). Il est donc difficile de vraiment mettre des mots sur ce qui la rend si spéciale. De manière générale, elle est tout simplement « réelle » : jolie mais sans atout spécifique, sociable mais avec un cercle restreint d’amies, nonchalante sans être particulièrement cynique, passive et active à la fois, peu expressive mais pas dénuée d’émotions. En somme, elle ne possède pas de trait moe exacerbé et pourrait assez vraisemblablement exister.
Les premiers épisodes (qui expliquent le titre de la série) sont assez trompeurs car ils laissent croire que Tomoya va essayer de transformer Megumi pour la modeler sur ses fantasmes et la rendre plus moe, mais ce n’est pas du tout ce qui arrive. Une fois l’initiation aux visual novel passée, elle va faire semblant d’être l’héroïne moe de son jeu pour lui remonter le moral le temps d’une scène et restera fidèle à elle-même le reste de la série. Au contraire, le héros va tout simplement commencer à apprécier sa compagnie et les deux jeunes gens vont développer une relation de confiance, la plus naturelle et la plus réelle que j’aie jamais vu dans un anime à ce jour. Il se dégage entre eux une alchimie que les plus grand couples de la japanimation peinent à attendre (Nagisa et Tomoya de Clannad font pâle figure à côté, désolée). On peut notamment décerner cette alchimie à travers leurs conversations téléphoniques : à chaque fois que le héros doute ou se décourage, c’est vers Megumi qu’il se tourne. De manière paradoxale, le personnage est pensé pour se fondre dans le décor lorsqu’elle est présente, elle semble donc inoffensive, inutile, et son absence fait soudain apparaître un manque qui la présente comme essentielle. D’où un gag récurrent : personne ne sait à quoi elle sert au sein du studio mais les personnages ne cessent de répéter son importance et elle est finalement partout (c’est l’héroïne du jeu, le nom du studio, etc). Contrairement à Haruhi de Ouran High School Host Club qui reste ambigüe sur ce qu’elle pense du club, Megumi fait savoir finalement assez vite qu’elle apprécie de rester au sein du studio otaku tout en continuant de voir ses amies. Elle finit même par prendre des initiatives pour trouver un rôle à sa mesure et donc aider ses camarades.
Vous ne verrez jamais Megumi comme ça, par exemple
Vers une nouvelle représentation de la culture otaku
Un autre pan primordial de Saekano consiste en sa représentation de la culture otaku, encore une fois très intéressante ! On peut aborder ce thème via différents points.
Un héros pas si lambda
Premier point : le traitement du héros. Comme beaucoup de productions avant et après lui, Saekano met en scène un protagoniste principal otaku à lunettes. Le premier épisode essaye de nous convaincre que Tomoya est un otaku lambda : il passe son temps sur Internet, est peu populaire, incompris, absorbé par la 2D, etc. Or une révélation surprenante va complètement ébranler ce cliché. Dans l’épisode 2, alors que le protagoniste engage la discussion avec Megumi pour la première fois, celle-ci nous révèle que Tomoya est une des idoles du lycée justement grâce à son implication à partager sa passion : il organise en effet de nombreux évènements pour son école tels que la diffusion d’animes ou l’achat de light novel pour la bibliothèque. Megumi admet donc être flattée qu’il lui adresse enfin la parole, ce qui décontenance le héros, sincèrement persuadé d’être un ringard/incompris. Autre détail troublant et assez rare pour être souligné : Tomoya est définit par les différentes héroïnes comme physiquement attirant. Ce qui est confirmé par le fait qu’on voit régulièrement ses yeux à travers ses lunettes et ce malgré ses grands discours enflammés et grandiloquents sur la supériorité de la 2D sur la 3D qui ont évidemment une visée comique.
Des références otakus se glissent partout dans la série, ici sur les visual novel
Cela semble anodin de prime abord, mais ces petits détails viennent lacérer le stéréotype de l’otaku moche et graveleux qui est présent de manière assez récurrente dans la japanimation et qui est à mon sens complètement archaïque. Je pense que le consommateur cible ne devrait pas être représenté par un stéréotype pareil : il faudrait vraiment avoir une estime de soi très basse pour se dire « Oh, un otaku moche et graveleux, c’est tout moi ça, ce produit est fait pour moi, vraiment je me reconnais là-dedans ». C’est donc réellement rafraîchissant de nous présenter un héros otaku au physique ordinaire, avec ce qu’il faut de personnalité, populaire grâce à son engagement pour faire connaître la culture otaku auprès du grand public et qui semble réellement se soucier des personnages féminins autour de lui, même s’il ignore constamment leurs avances (pour les raisons explicités plus haut). Rien qu’avec ça, Saekano tord le cou à pas mal d’idées reçues et c’est loin d’être fini !
L’ouverture à un public plus large: les différents visages de l'otaku
L’élément qui m’a le plus agréablement surprise lors de mon visionnage est le point d’honneur qu’a mis le scénariste pour dépasser le stéréotype traditionnel. Cela se voit dans le choix des personnages otaku dont Utaha et Eriri au premier plan, présentées comme les égales de Tomoya en la matière (Utaha ira même jusqu’à défendre leur passion commune devant Michiru) mais aussi Izumi et Iori.
L’apparition de la petite Izumi est source de nombreuses surprises : c’est en effet en nous apprenant que Tomoya l’a initié à la culture otaku via un otome game qu’elle ramène sur le tapis les souvenirs liés à ce jeu. On découvre alors que c’est en réalité Eriri qui a déclenché la passion du héros en lui prêtant l’otome game en question. Là où c’est intéressant c’est que Tomoya ne nie pas ou ne semble pas embarrassé, il lance même considérer ce jeu comme un véritable chef d’œuvre et que c’est pour cette raison qu’il l’a fait découvrir à Izumi à son tour. Celle-ci baigne donc naturellement dans l’univers doujin et demande à son « mentor » de venir l’encourager lors du Comiket. Et Tomoya est conquis par son travail au point d’en faire la promotion de manière éhontée. Ce qui est surprenant ici c’est que le visual novel est habituellement scindé en deux marchés distincts : « pour hommes » (bishoujo game) et « pour femmes » (otome game). Ces deux marchés ne se parlent jamais et les fans de bishoujo game ont même la fâcheuse tendance à cracher sur les otome game. Il est donc assez incroyablement progressiste de voir un héros fan de bishoujo game nous dire qu’il apprécie les otome game et encourager leur promotion. C’est d’autant plus visible dans la scène où Tomoya arrive à attirer du monde autour du stand d’Izumi : un jeune homme se présente et demande à feuilleter son doujin otome. Embarrassée, elle balbutie que c’est à destination d’un public féminin et semble sous-entendre que ça ne va pas lui plaire. Or le client achète son travail, ce qui est hautement symbolique !
Petite aparté mais cet engouement causera des tensions entre Tomoya et Eriri puisque cette dernière va lui demander de complimenter son propre doujin en retour. Et c’est d’un air évasif que le héros lui répondra que son travail est « consistant ». Cette absence d’éloge peut s’expliquer par une dichotomie entre sexe et scénario : en effet c’est le scénario d’Izumi que Tomoya vante et Eriri fait des dessins pornographiques. En filigrane se trouve peut-être un repproche inavoué, celui de privilégier ce que le public masculin est censé aimer et pas ce qui est vraiment important. Une ambiguïté que l’on retrouve dans la volonté du héros de faire un visual novel tout public, un spécimen quasiment éteint au Japon et qui contraste avec l’expérience de l’auteur dans l’industrie. Est-ce parce que son roman et l’anime visent une audience plus large ? Mystère…
Autre source de surprise : Iori, le rival de Tomoya. Ce qui est intéressant avec ce personnage c’est qu’il est devenu ami avec le héros dans des circonstances assez inhabituelles. En effet Iori était à la fois le garçon le plus populaire de sa classe au collège et un otaku convaincu. Leur passion les a donc rapprochés, puis éloignés : Tomoya n’aimait pas les méthodes d’Iori car ce dernier cherchait à s’élever au sein de la communauté otaku et cette ambition lui semblait mal placée. Or, comme le personnage nous le rappelle, le héros fait preuve d’une ambition assez similaire en débauchant les plus grandes stars de l’industrie pour réaliser son jeu. Leur rivalité semble donc tenir à peu de choses et Iori se révèle très vite incapable d’être menaçant. On le voit surveiller Tomoya de loin à la fin de l’arc d’Eriri et c’est de bonne grâce qu’il va l’aider à la reconquérir alors même que cela dessert ses intérêts !
Dernier élément : les filles du groupe Icy Tail sont toutes définies par leur passion pour un élément particulier de la culture (les doubleurs, Vocaloïd et la dernière est considérée comme étant casual).
Cette diversité dans les personnages otaku de la série est particulièrement intéressante car elle permet de s’éloigner encore un peu plus des stéréotypes habituels. Ainsi la passion de chaque personnage est un élément de sa vie sans le définir complètement : point de fujoshi hystérique et point de gros pervers graveleux prêt à photographier des culottes.
L’ouverture à un public plus large : le regard des non-otaku
La représentation du milieu ne serait pas complète s’il n’y avait pas des non-initiés pour offrir une perspective différente. Saekano compte au fond assez peu de personnages non-otaku mais leur intérêt est primordial.
La première est bien sûr Megumi qui va chambouler les attentes de Tomoya en faisant preuve d’une grande tolérance. Elle dira notamment dans les épisodes d’introduction ne rien avoir de particulier contre la culture otaku et fera preuve d’une curiosité renouvelée tout au long de la série. Au début c’est Tomoya qui essayera de l’initier manu militari en lui faisant jouer à des visual novel toute la nuit (avec un succès mitigé : elle balancera ne pas être en mesure d’apprécier pleinement une œuvre avec quelqu’un qui spoile tout à côté d’elle), puis elle prendra des initiatives, par exemple, en essayant l’otome game évoqué par Izumi ou en accompagnant le héros au Comiket. Le pivot reste le dernier arc de l’anime puisque Megumi va s’emparer des livres de Tomoya pour apprendre à scripter le jeu par elle-même, avec le soutien des autres héroïnes. La voir devenir la programmeuse officielle du studio est logique, puisque c’est le seul poste qui restait à pourvoir, mais pas moins surprenant. Là où les autres personnages féminins sont sans cesse définies par leur incroyable talent, la très ordinaire Megumi nous montre qu’elle peut apprendre à coder avec un peu de patiente et de ténacité. Cette tolérance dont elle fait preuve, en parallèle des révélations sur la popularité du héros, contribue à normaliser la passion des protagonistes et à ranger les brimades (vues dans la route d’Eriri) dans le passé, ce qui est réellement rafraîchissant.
On pourrait dire de même des parents d’Eriri, brièvement entraperçus, qui vendent les doujins pornographiques de leur fille à sa place (vu qu’elle est mineure) sans battre un seul cil. J’aurais aimé en savoir plus à leur sujet, j’espère donc que la suite leur apportera leur moment de gloire !
Dernier cas, et non des moindres : Michiru, la cousine de Tomoya. C’est de loin le personnage développé le plus hostile au monde otaku. Suite à une dispute familiale, elle vient squatter chez le héros et prend vite ses aises en balançant toutes ses figurines dans un sac poubelle. Elle sera en confrontation ouverte avec Tomoya tout le long de son arc car elle considère que son rêve à lui n’est pas sérieux et voudrait qu’il abandonne la création de visual novel pour venir l’assister elle. A travers ces dialogues, on comprend qu’elle veut le bien de son cousin mais qu’elle baigne dans les préjugés (être un otaku reviendrait à refuser de grandir et affronter la réalité en face). Cette attitude énerve bien sûr Utaha et Eriri qui la voient comme une rivale gênante et n’apprécient pas plus que ça de voir leur passion méprisée. Or Tomoya tient à la faire entrer dans le groupe à cause de son talent pour la musique. Malgré son antipathie à l’égard d’un monde qu’elle ne comprend pas, Michiru reste étrangement lucide puisqu’elle comprend tout de suite que les autres héroïnes sont là pour courtiser son cousin. On peut remarquer que malgré cette hostilité apparente, la demoiselle demeure mesurée dans le sens où elle avoue ne rien avoir contre les otaku mais pense que leurs mondes sont incompatibles. C’est là-dessus qu’intervient la résolution du dernier épisode (qui se mue pour l’occasion en épisode musical) qui règle le problème de manière intéressante.
Tomoya accepte d’aider Michiru à se produire sur scène et lui dégotte une place dans un des hauts lieux de la culture otak où la jeune fille découvre par la même occasion que toutes ses amies sont également des otaku mais n’ont jamais osé le lui avouer. Au pied du mur, Michiru est obligée de remettre ses préjugés en question. Et sa réaction est étonnante : elle pardonne évidemment à ses amies, mais surtout elle s’inquiète de décevoir son audience justement parce qu’elle est une non-initiée. Une fois rassurée par Tomoya, force est de constater qu’elle va s’éclater sur scène (petit moment de fanservice pour les spectateurs avec la cover d’un générique d’anime célèbre) et une fois de retour dans les vestiaires, elle tient un tout autre discours. Alors que le héros fait une pique sur le public en le décrivant comme passionné mais un peu effrayant/louche, c’est Michiru qui va le corriger d’un radical « Ne dis pas de mal de mes fans ! ». On peut donc dire que Michiru, tout comme Megumi, finit par rejoindre les rangs du monde otaku tout en gardant sa personnalité. Il y a en somme une coexistence paisible.
La réalisation
L’adaption animée de Saekano est d’assez bonne facture. Les graphismes sont agréables, l’animation n’est pas forcément survoltée mais le matériau de base n’ayant pas d’exigence, il n’y a pas besoin de faire des folies. Certains plans derpent un peu mais l’effet s’intègre assez bien dans le registre comique. On notera que Saekano abuse d’un effet « artistique » similaire à celui de l’opening de Cure Girl (un eroge de Noesis que peu d’entre vous doivent connaître) qui est de colorer les contours des personnages. Très honnêtement, je trouve qu’on s’y habitue assez vite même si ça n’ajoute rien de particulier.
Petite mention sur l’intégration de Megumi qui est parfaitement exécutée et dont le rendu colle vraiment bien au format de l’anime. Par exemple, une bonne partie de l’épisode 2 se déroule dans un café où Tomoya est censé parler à Megumi et le cadrage fait tout pour éviter de nous montrer la jeune fille, quitte à se concentrer sur la serveuse qui est derrière ou sur les autres clients. Cela contribue vraiment à construire ce fameux manque de présence du personnage de manière ingénieuse. Dénicher Megumi dans le décor pour voir ce qu’elle fait pendant que les autres personnages parlent est souvent très amusant. Les plus attentifs d’entre vous peuvent d’ailleurs essayer : on la voit apparaître dans un plan de l’épisode 1 bien avant son introduction, saurez-vous trouver lequel ?
Rien de spécifique à mentionner côté son. La bande-son est agréable sans être particulièrement remarquable, les génériques sont assez quelconques et le doublage est de bonne facture (d’autant que la majorité du cast est composé de nouveaux au bataillon).
Seul point noir de l'animation : les mains qui tapent sur le clavier sont en 3D...et c'est moche
Un point qu’il me tient à cœur de mentionner toutefois : le fanservice. Saekano arrive à être intéressant même dans sa manière de le représenter ! Déjà parce qu’il est bien dosé et un peu plus raffiné que d’habitude : on ne verra quasiment pas de seins qui gigotent ou de plan sur une culotte, la seule exception étant une scène dédiée dans la conclusion de l’arc de chaque héroïne (une scène étrangement érotique à chaque fois, on sent où est parti le budget (mais je ne me plains pas)). Le reste du temps, Saekano se concentrera exclusivement sur les jambes ou les pieds, un fétiche déjà annoncé par l’opening qui se concentre longuement sur les corps des héroïnes sans montrer leur visage. Mais vraiment, tout ceci reste très, très modéré…jusqu’à l’arrivée de Michiru. C’est dans le dernier quart de la série que des gens ont dû se réveiller et se dire que l’audience chutait ou que la cousine n’avait vraiment pas assez de personnalité pour concurrencer Utaha, Eriri ou même Megumi. De manière inexplicable Saekano se transforme soudain en harem ecchi lambda et nous offre des épisodes massacrés par le fanservice : la caméra passe son temps à nous montrer ses seins et son cul (quand ce n’est pas son entrejambe). Et c’est vraiment dommage parce que la série était irréprochable jusque là et que ça fait tâche. Inutile et de mauvais goût. En parlant de fanservice…
Ai to Seishun no Service Kai : Haruhi Episode Zéro à la plage
Si certains d’entre vous ont zappé Saekano, ce sera sûrement à cause de son Episode 0 sorti avant tout le reste, ce qui partait d’une intention assez couillue à la base et ce pari risqué était à mon sens très compliqué à remplir. En effet, l’adaption animée de Saekano a décidé de placer son passage plage/piscine/onsen bourré de fanservice d’emblée, de manière assez cash. La subvertion aurait pu marcher si ce n’avait pas été l’épisode le moins intéressant de toute la série… Certes, les personnages brisent joyeusement le quatrième mur, Katou fait son ninja, le match de ping pong entre Utaha et Eriri est un beau foutoir absurde. Mais tout cela ne peut fonctionner que lorsqu’on connaît déjà un peu les personnages, qu’on s’y est attaché, qu’on sait qu’il y a plus une fois la surface grattée. Si le bonus contient bien ce qui fait le charme de la série, on peut aussi dire que l’attrait est émoussé. Les scènes dans la forêt sont inintéressantes, voire même caricaturales (dégage de cette série Michiru, merci) et la scène de pseudo-viol du héros par les filles bourrées dans l’auberge est franchement pas drôle en plus d’être d’un cliché absolu. Et puis la scène de comparaison des tailles de seins, ahah, on l’avait vraiment jamais entendu ailleurs, tiens. Autrement dit, commencer par Ai to Seishun no Service Kai ne rend vraiment pas justice à la série : on a plus l’impression de regarder un harem lambda avec un vague gimmick que l’intrigue subtile que j’ai eu l’impression de regarder au fil des semaines. Le comble c’est que le bonus se place à la fin de la série chronologiquement, quand le visual novel du studio naissant est presque terminé ! Bref, autant regarder ça après comme un OAV bonus que comme une véritable introduction à Saekano. Surtout que l’épisode 1 est vraiment parfait pour placer les enjeux et introduire les personnages !
Conclusion
Saekano se place donc comme une œuvre rafraîchissante possédant de multiples couches. Au-delà du premier niveau de lecture qui est celle de la comédie en milieu otaku (avec une emphase sur le milieu de la publication et le Comiket), les personnages ont des relations complexes qui sortent des sentiers battus, l’héroïne principale tranche avec ce qui existe actuellement et l’approche du sujet est étonnamment progressiste. Quand on voit le climat actuel du milieu du jeu-vidéo (incroyablement toxique) entre les « vrais » joueurs et les « faux » joueurs, difficile de ne pas voir dans la série de Fumiaki Maruto (qui a l’air d’avoir trouvé son format idéal avec le roman) un bol d’air frais, certes involontaire, mais nécessaire.
Un visual novel Saekano est sorti à la fin du mois d'avril. VISUALNOVELCEPTION!
Seul véritable bémol : l’adaptation s’arrête en plein milieu des tomes en cours (4 sur 7), ce qui fait de la 1e saison une introduction de 12 épisodes. Autant dire que j’ai hâte de découvrir la seconde saison, surtout que le septième volume du light novel conclut le premier arc narratif de l’intrigue. Conclusion que je me suis spoilée et qui s’annonce palpitante. A part ça, je crois que la seule chose que je pourrais à la série est de ne pas assez parler de visual novel. C’est pour ça que j’étais intéressée à la base après tout !
Saekano est donc une ode à la culture otaku qui se présente sous la forme d’un harem pas si classique que ça. A conseiller à tous ceux qui aiment les relations compliquées et à ceux qui veulent se réconcilier avec le genre.