
Précedemment : Subarashiki Hibi – Red Pill Blues (2e partie)
V. Le héros qu’on mérite mais non celui dont on a besoin
Des morts, où ça des morts ?

Jusque là, l’emphase de Subarashiki Hibi se plaçait sur la folie qui s’empare soudainement du lycée et le suicide mystérieux de Zakuro. A partir de Jabberwocky I, l’emphase se déplace complètement sur le drame familial des Mamiya, reléguant le reste à un bruit de fond anecdotique. Le personnage de Yuuki Tomosane est alors introduit comme le véritable héros de l’histoire, le seul individu en mesure d’arrêter le drame à temps. Il devrait donc nous apparaître comme un personnage éminemment sympathique : après tout il est conçu en opposition avec Takuji. Cela ne fonctionne à aucun niveau…

Il paraît difficile de faire pire protagoniste que Takuji mais Tomosane essaye très fort quand-même !
En premier lieu, Subarashiki Hibi reste très ambigu sur les connaissances exactes de Tomosane. Puisque que ce dernier est mis KO durant une bonne partie des incidents de It's my Own Invention, il ne semble pas avoir conscience de l’étendue des atrocités commises par son ennemi juré. Tomosane lui-même prétend être au fait des dernières nouvelles parce qu’il partage le même cerveau que Takuji mais ne mentionne à aucun moment un événement précis (et Dieu sait qu’il y en aurait).

Tu es affreusement nonchalant pour quelqu'un censé tout savoir...
C’est assez problématique parce que cela diminue grandement l’impact de leur face à face final, laisse à croire qu’il se fiche des victimes du culte, et puis surtout parce que Tomosane déteste Takuji pour les mauvaises raisons !
L’homophobie virulente de Tomosane
En effet, ce n’est qu’à travers Tomosane, bien après la perspective de Takuji, que Subarashiki Hibi adopte un discours plus critique sur sa perception du monde. Or Jabberwocky I débute avant It's my Own Invention, ce qui fait que les reproches n’ont rien à voir avec la création de la secte. Qu’à cela ne tienne, il y a tout de même des choses à dire ! Or voilà, ce que Tomosane ne supporte pas chez Takuji ce n’est pas sa haine irrationnelle des femmes, sa paranoïa galopante, ou encore le sentiment que tout lui est dû…mais qu’il s’agisse d’un otaku faible et efféminé.

C’est même toute son "origin story" : la personnalité de Yuuki Tomosane est censée naître au moment du viol de Takuji par réaction et a constamment recours à la violence car c’est sa seule manière d’appréhender le monde. Il y a quelque chose de pourri à considérer que le problème de Takuji est qu’il ne se comporte pas comme un homme, un « vrai », alors qu’il s’agit surtout d’un adolescent extrêmement instable qui se réfugie dans la haine (des autres et de soi).


"Homo" est le terme le plus gentil à sa disposition et il doit l'utiliser 2 fois à tout casser...
Ce qui apparaît dès le début de son chapitre c’est donc l’homophobie extrêmement virulente de Tomosane qui est bien loin de seulement s’appliquer à son ennemi juré. Ainsi, bien qu’il soit proche de son maître en arts martiaux, il ne cesse de l’insulter sur sa sexualité. C’est bien simple, la boîte de dialogue comporte toujours un commentaire offensant à chaque fois que les deux hommes sont en présence l’un de l’autre à l’écran. Quelle charmante manière de traiter celui qui a recueilli ta famille après un horrible accident ! En contrepartie, le maître est lui-même présenté comme une caricature de folle : il est à la fois super baraqué et vêtu d’une robe (?), parle explicitement de sa sexualité et fait surtout des propositions indécentes à chaque personnage masculin qu’il croise…y compris son protégé.
Misogynie ordinaire

Après une telle introduction en fanfare, vous vous douterez que Tomosane n’est guère mieux que Takuji dans son comportement avec les femmes. La branche alternative de Looking-Glass Insects nous montrait déjà un avant-goût : bien qu’il soit du côté de Zakuro et Kimika, il n’hésite pas à réagir de manière condescendante en leur présence. C’est ainsi qu’il les rabaisse régulièrement à leur physique et à leur genre via des commentaires stéréotypés (type « Tu ne trouveras jamais un mari à ce rythme là » ou « Tes seins sont minuscules »), particulièrement Kimika. Même son entrée en scène théâtrale au moment de les sauver a un arrière-goût sexiste puisqu’il les décrit comme « ses femmes » et « ses jouets » devant le groupe de délinquants qui s’apprête à les kidnapper. Le lecteur est invité à trouver cela comique.

Sans surprise, il réserve le même genre d’attitude à Hasaki dans Jabberwocky I. De manière générale, il la traite avec une froideur extrême et ne cesse de l’éviter, ce qui est maladroitement excusé comme un comportement de tsundere : il n’oserait pas lui avouer qu’il l’apprécie. S’il ne verse pas dans la haine, Tomosane semble tout de même considérer les femmes comme des créatures étrangères, en témoigne le fait qu’il demande régulièrement à Yuki de s’occuper de Zakuro à sa place.

Niveau comportement normal envers les femmes, on repassera...
Le croisement monstrueux entre Serial Experiments Lain et Love Hina…
C’est aussi à ce moment que Subarashiki Hibi décide de se tirer une balle dans le pied. Jusque là le jeu était resté très critique des poncifs hérités des eroges : le harem yuri de Yuki dans Down the Rabbit-Hole I était toujours assorti de clins d’œil meta en direction du joueur et même Takuji dans la branche alternative de It's my Own Invention avait au moins la lucidité de reconnaître que ses fantasmes étaient complètement absurdes. Et soudainement, Tomosane se retrouve au cœur d’un harem incroyablement cliché présenté sans aucune espèce d’ironie ! Un harem qui est donc composé de sa sœur Hasaki et du fantôme de son premier amour (qui vit depuis dans sa tête), Minakami Yuki.


Le sens de l'humour du jeu est visiblement mort avec Zakuro
Ce serait mentir de dire qu’un trouble dissociatif ne pourrait pas consister un bon socle comique mais, tout comme avec le chapitre de Takuji, Subarashiki Hibi l’exécute de la manière la plus superficielle et dissonante possible. Comment un visual novel qui avait commencé de manière aussi percutante peut-il passer de Serial Experiments Lain à Love Hina en l’espace de deux chapitres ? Jabberwocky I est une immense déception parce que le triangle amoureux n’est qu’un prétexte pour débiter des blagues sexuelles souvent mal placées.

*Rires enregistrés*
Le début du chapitre (avant que les événements inquiétants du lycée ne rattrapent Tomosane) s’articule entièrement autour du fait que la jeune Hasaki est surtout là pour faire les tâches ménagères et recherche vainement l’approbation de son grand frère. Oh, et que Tomosane n’est sexuellement attiré, ni par Yuki, ni par Hasaki, ce qui est un grave problème qui conduit à toutes sortes de prétextes du genre « Si tu ne me trouves pas sexuellement attirante, tu ne verras aucune objection à ce que je dorme dans ton lit en petite tenue ? » ou « Si tu ne me trouves pas sexuellement attirante, tu ne verras aucune objection à ce que je prenne une douche nue avec toi ? ». Cela finira bien évidemment en scènes de sexe à un moment.

*Rire fatigué*
A vrai dire, il est difficile de déterminer quelle héroïne du harem est la plus gênante. Hasaki a l’avantage d’être vivante mais le fait qu’elle soit aussi jeune (elle se balade encore avec une peluche) et la véritable petite sœur du protagoniste de surcroît rend leur relation incroyablement malsaine. Yuki est resté bloquée à l’adolescence donc l’âge n’est pas encore un problème mais (j’ai du mal à croire que je suis obligée de le préciser) elle est décédée. J’ai rarement vu un eroge proposer un triangle amoureux aussi mauvais : aucun choix n’est approprié !
50% de larmes et 50% de sperme…
Autre immense déception : le personnage de Minakami Yuki dans Down the Rabbit-Hole avait le mérite d’être sympathique et très intéressant. La véritable Yuki introduite à partir de Jabberwocky est complètement vidée de sa substance. Puisqu’elle est morte, elle n’a plus aucun pouvoir d’action, elle est donc perpétuellement subordonnée à l’homme qu’elle hante. Elle devient le second couteau de Tomosane, n’existe plus par elle-même et se sacrifie perpétuellement pour lui apporter son aide. Ce qui est encore pire rétrospectivement quand on apprend que Minakami Yuki n’est pas simplement une personnalité inventée par Mamiya mais une véritable personne qui a autrefois existé.


Le running gag c'est que tout le monde s'en fout de Zakuro, c'est ça -__- ?
La vraie Yuki que l’on côtoie dans Jabberwocky I et II est malheureusement l’équivalent d’un vieux pervers enfermé dans le corps d’une jeune fille. Certaines scènes touchantes comme celle du rendez-vous improvisé sont ruinées par la nouvelle perspective parce qu’on se rend compte qu’elle était trop occupée à faire des blagues sur le sperme avec Tomosane pour prêter attention à Zakuro…
L’impossibilité d’ouvrir son cœur à Hasaki
Une autre raison qui fait que la seconde partie de l’histoire ne fonctionne pas aussi bien que l’auteur l’envisageait est son dénouement peu satisfaisant. Après avoir été ignorant et passif durant les moments les plus importants de l’intrigue, après avoir perdu son grand face à face, Tomosane ressort paradoxalement victorieux dans les différentes fins (sauf End Sky II mais j’y reviendrai). Subarashiki Hibi nous fait ainsi croire qu’avoir été confiné dans un coin de l’esprit de Takuji a fait évoluer le protagoniste et qu’il en sort grandi mais rien dans son comportement n’accrédite cette thèse. On pourrait arguer que sa véritable force n’est pas de battre son rival à mains nues mais de faire davantage confiance à Hasaki…or ce n’est pas le cas.


Ci-dessus représenté : un frère aimant (non)
Tout au long de Jabberwocky I, l’auteur pioche dans un des poncifs les plus insupportables des eroges à mes yeux : l’homme sait quelque chose d’important mais laisse volontairement la femme qu’il aime dans le noir sous un prétexte quelconque (la protéger, ne pas la blesser). Résultat ? Son ignorance conduira inévitablement la femme à faire quelque chose de stupide de manière à faire avancer le scénario et elle devra s’en excuser sans que la responsabilité de l’homme ne soit jamais remise en question. C’est exactement le résumé du chapitre : Tomosane ment et cache constamment des choses à Hasaki et en retour cette dernière agit de manière irrationnelle et devient un véritable poids. L’exemple le plus évident demeure son duel avec Takuji qui se transforme en énorme malentendu parce qu’il n’a pas pris le temps d’expliquer la situation et la présence opportune de sa petite sœur finit par bouleverser complètement l’issue du combat. Bien joué, champion…


5 minutes plus tard
Jusqu’au bout Tomosane n’aura pas été complètement honnête avec Hasaki et ce alors même qu’ils ont couché ensemble dans un des embranchements. Tout au plus il accepte de concéder qu’il tient à elle mais il ne change pas fondamentalement son comportement pour autant, ce qui équivaut à lui donner des miettes. Cette incapacité à ouvrir son cœur même à celle qu’il aime est un trait typique de la masculinité toxique : Tomosane est trop obsédé par ce que signifie être un homme pour prendre soin de lui-même, ce qui se traduit par des tendances suicidaires que tente bravement d’enrayer la pauvre Hasaki.


La grande évolution de Tomosane est qu'il ne cherche plus à mourir ? C'est...un bon début...je suppose ?
S’il est positif que Mamiya arrive à guérir dans les différentes fins et qu’il paraisse enfin apaisé, il est toutefois difficile de considérer la relation incestueuse avec sa sœur comme une véritable progression du personnage. Ce serait plutôt une fuite en avant étant donné qu’il se retranche toujours dans le cocon familial et ne noue pas de nouvelles relations !
VI. Les sacrifices oubliés

On en arrive donc aux différentes fins de Subarashiki Hibi ; et quelles fins ! Malgré le fait que ce soit le cœur de l’histoire (ou du moins de Tsui no Sora), la vague d’hystérie est complètement reléguée au rang d’anecdote. Le lecteur n’a accès à aucun épilogue qui donnerait le point de vue du public ou comptabiliserait les victimes. Plus grave : Tomosane ne subit absolument aucune conséquence pour les actions de Takuji. S’il n’est pas coupable directement (ce n’était pas la personnalité en contrôle à ce moment là), il n’en a pas moins une part de responsabilité dans le drame et le public pourrait légitimement ne pas faire de différence. Des centaines de personnes sont mortes mais le héros a le droit à son happy end et c’est visiblement tout ce qui compte pour le scénariste, ce qui rend la résolution grossière et franchement déplacée. Et ce n'est pas la grande théorie de Tomosane comme quoi les victimes recherchaient en réalité un prétexte pour mourir qui arrange les choses.

And no fuck was given, huh?
J’irais plus loin : il y a quelque chose d’obscène à présenter le héros soupirer devant le coucher de soleil qu’il revient de loin et qu’il va faire de son mieux pour vivre. Mamiya ne semble pas comprendre la gravité de la vague de suicides ou seulement reconnaître qu'il n’a pu s’en sortir que grâce au sacrifice d’absolument tous les personnages féminins autour de lui !
Yuki (Hill of Sunflowers)

Avec les révélations de Jabberwocky II, on comprend que Minakami Yuki est une vraie jeune fille qui se sacrifie perpétuellement pour aider Tomosane de l’intérieur. Après avoir sauvé Hasaki de la mort et refait surface sous forme de fantôme, c’est elle qui le guide afin qu’il retrouve la mémoire. Même effacée par Takuji, elle revient encore secourir Tomosane et permet à sa personnalité de refaire surface. Et pour finir c’est elle qui se dévoue pour éliminer définitivement Takuji au moment où il saute du toit.

Je me sens stupide d'avoir ressenti quelque chose à la capture précédente alors que c'est ça la véritable conclusion de son arc narratif...
Il est donc assez choquant qu’elle revienne comme par magie dans Hill of Sunflowers, juste à temps pour rejoindre le harem. J’ai l’impression d’avoir des flashbacks de la route de Michiru dans Grisaia no Kajitsu : sérieusement, pourquoi les scénaristes d’eroges se croient-ils obligés de faire des blagues à base de threesome avec des personnes DECEDEES ???
Hasaki (Wonderful Everyday)

Oubliez le sexe, voilà le véritable fantasme que vendent les eroges !
Si Yuki se sacrifie perpétuellement pour aider Tomosane de l’intérieur, Hasaki le fait de l’extérieur. C’est elle qui prend soin de lui depuis l’accident ayant endommagé sa psyché et ce sans jamais rien demander en retour à part un peu d’affection (qu’il lui donne à peine). Elle lui fait à manger, lui apporte son bento à l’école, surveille son bien-être mental, alors même que c’est une enfant et qu’elle doit bien avoir des traumatismes dus à l’accident aussi. Elle arrive même à accepter son caractère distant et insupportable.

Au moment où Takuji saute du toit et lui laisse le contrôle, c’est encore Hasaki qui le sauve d’une mort certaine en se mettant elle-même en péril. C’est bien simple : Tomosane ne semble pas faire le moindre effort et elle l’aime quand-même de manière inconditionnelle !
Kimika (It’s my Own Invention)

On ne le comprend qu’en filigrane à partir de ce que Subarashiki Hibi ne nous dit pas et la fin alternative de It's my Own Invention mais Kimika accepte de dédouaner Takuji en portant la responsabilité du meurtre de masse qu’ils ont commis ensemble. Elle l’enjoint ainsi à vivre alors même qu’elle se prépare à mettre fin à ses jours pour expier son crime. C’est exactement ce qu’il se produit dans la chronologie principale puisque Tomosane décide de vivre pour sa sœur (et Yuki). Il y a donc de grandes chances qu’il n’ait été innocenté que parce que Kimika a laissé des traces. Et le plus triste est qu’il ne paraît même pas se souvenir d’elle…
Zakuro (Looking Glass Insects)

Plus sournois encore, le malheur de Zakuro est en réalité la condition sine qua non de la renaissance de Tomosane, comme montré dans la branche alternative de Looking-Glass Insects. Si la jeune fille arrive à atteindre une existence normale avec son aide, la personnalité de ce dernier disparaît en entraînant celle de Takuji avec lui. Malheureusement la Yuki qui prend le contrôle est celle qui a perdu la mémoire aussi Hasaki est condamnée à n’être perçue que comme les jumelles Wakatsuki et ne retrouve jamais son frère. C’est assez horrible à dire mais pour que Tomosane renaisse sous sa véritable forme, Zakuro doit être violée, elle doit se suicider et entraîner les événements meurtriers que l’on connaît.

C’est d’autant plus horrible que la descente aux enfers de Zakuro fait écho à celle de Takuji mais qu’elle n’obtiendra jamais le même traitement en tant que personnage : là où Takuji bénéficie d’un des plus longs chapitres du jeu, la folie de Zakuro est expédiée à la toute fin du sien. Pire, la conclusion émotionnelle de son arc se déroule dans Down the Rabbit-Hole I, avant même son suicide, ce qui fait que le lecteur n’a pas conscience de ce qu’il se passe, dérobant ainsi au personnage son dernier grand moment.
VII. Une fin grossière : End Sky II
Une structure archi complexe qui ne mène à rien

Il se trouve que ce n’est même pas la véritable fin de Subarashiki Hibi ! En effet, après avoir visionné Hill of Sunflowers et Wonderful Everyday, le joueur se voit offrir un nouveau choix dans lequel Tomosane meurt parce qu’il n’a pas promis de protéger sa petite sœur envers et contre tout. Bienvenue dans End Sky II ! Ayana, substitut potentiel de l’auteur, révèle alors que le jeu possède une structure infiniment plus complexe qu’il n’y paraît. Si j’en crois les témoignages, la structure de Subarashiki Hibi reproduirait le Tractatus Logical-Philosophicus de Wittgenstein.

Schéma de la structure du jeu réalisé par Mayucchi (je vous invite à lire son article si le sujet vous intéresse)
Le problème…est que cela ne mène à rien. La possibilité d’une boucle temporelle est chouette mais cela n’apporte aucune différence notable à l’intrigue. Si l’intention derrière cette structure archi complexe est de vulgariser l’œuvre de Wittgenstein, c’est tout à fait louable, mais cela n’ajoute rien d’intéressant au texte.
Un pacte bafoué

De même, la théorie d’Ayana comme quoi l’intégralité des événements du jeu sont en réalité le produit de son imagination ne change absolument rien à l’histoire telle qu’elle est écrite. Pour que ce genre de retournement de situation fonctionne, il faut généralement un avant et un après. Par exemple : dans la nouvelle Le Pied de Momie de Théophile Gautier, le narrateur découvre un pied momifié dans un magasin d’antiquités et décide de l’acheter. La même nuit une princesse égyptienne lui apparaît et l’entraîne dans des aventures surnaturelles. Le fait que ces fameuses aventures ne soient qu’un rêve fonctionne parce qu’il y a un état vers lequel retourner (son bureau avant qu’il ne s’endorme). Dans le cas d’End Sky II, il n’y aurait aucun état ultérieur vers lequel retourner puisque rien n’existe ! Si rien n’existe, la révélation n’a aucun impact.

J’irais même plus loin : c’est exactement le but du pacte de suspension d'incrédulité entre le lecteur et l’auteur. Le lecteur sait qu’il s’apprête à lire une œuvre de fiction, et par conséquent que rien de ce qui est écrit n’existe, mais il choisit d’y croire parce que c’est plus intéressant ainsi. La théorie d’Ayana ne fonctionne donc sur aucun niveau : révéler que Subarashiki Hibi est une fiction relève de l’évidence…
Ce n’est pas un bug, c’est une fonctionnalité

Le plus triste c’est que End Sky II sonne comme une parade de la part de SCA-JI. Après tout, si l’intégralité de l’intrigue a été imaginée par Ayana alors les failles scénaristiques sont tout excusées, il n’est plus possible de critiquer l’œuvre. Et il se trouve justement que les failles scénaristiques sont omniprésentes dès qu’on regarde l’histoire d’un peu trop près, ce qui est un comble pour une œuvre censée faire réfléchir…

Par exemple, l’échange d’apparence des deux frères ne fait guère sens, tout comme le changement de personnalité de Takuji entre Jabberwocky II et It's my Own Invention. Le Takuji original n’a en effet rien à voir avec l’otaku pleutre qu’il devient à titre posthume. Un tel changement mériterait sûrement quelques explications. Et que dire du fait que les différentes personnalités peuvent se trouver à différents endroits de la ville simultanément alors qu'elles sont censées partager le même corps ?

De même, Subarashiki Hibi essaye désespérément de se draper dans le mystère en proposant deux hypothèses pour expliquer les problèmes psychologiques de Mamiya : une rationnelle et une surnaturelle. L’hypothèse rationnelle est celle du trouble de la personnalité dissociatif : à cause du traumatisme de la mort de ses proches, le protagoniste aurait inventé une personnalité calquée sur son frère et une personnalité calquée sur celle de Yuki. L’hypothèse surnaturelle provient de l’héritage de prêtresse Shinto de la mère de la famille : Kotomi aurait des pouvoirs permettant de ramener les morts à la vie qu’elle aurait transmis à ses enfants par son sang. Ce serait à cause de cet héritage mystique que Takuji aurait réussi à posséder le corps de Tomosane au point de lui faire perdre son identité mais aussi que Yuki aurait réussi à s’infiltrer pour lui porter secours. Si l’hypothèse rationnelle semble l’emporter de prime abord, elle commence très vite à ne plus faire sens et l’hypothèse surnaturelle finit par être bien plus plausible.

En effet, comment Hasaki arriverait-elle soudainement à voir Yuki dans Hill of Sunflowers si ce n’est via le pouvoir de son sang ? C’est probablement de cette même manière que Zakuro s’introduit dans le rêve de Yuki dans Down the Rabbit-Hole I.
Where is Self?

En fait, End Sky II m’évoque un tout autre visual novel : Remember11 – The Age of Infinity- qui est sorti en 2004 au Japon et dont j’ai déjà fait la critique sur le blog. Tout comme Subarashiki Hibi, Remember11 s’articule autour d’une intrigue à la structure complexe, bourrée de références philosophiques, et de personnages possédant des troubles de la personnalité. Et tout comme lui, Remember11 se termine par une forme d’autodestruction : le jeu se révèle être un piège à destination du joueur et tente de l’enfermer dans une boucle sans fin, dépourvue de catharsis. La grande différence est que le visual novel de KID est une expérience solide et extrêmement captivante de bout en bout là où Subarashiki Hibi abuse de la violence comme outil narratif mais ne l’utilise jamais de manière à dire quelque chose de significatif.


En réalité, bien qu’il soit entièrement possible qu’End Sky II fasse davantage sens dans Tsui no Sora, cette fin méta représente ici un échec. Le discours final d’Ayana n’apparaît que comme une pensée après coup et non une partie importante de l’œuvre ; rien ne la supporte. Malgré tous ses efforts, Subarashiki Hibi n’arrive même pas à reproduire l’alchimie très particulière de Remember11 (je ne suis d'ailleurs pas la seule à l'avoir remarqué ; malheureusement ce blogueur a modifié son article depuis).
Conclusion

Subarashiki Hibi est un titre dont j’attendais la localisation de longue date. Pendant des années, les joueurs qui avaient eu la chance d’expérimenter le visual novel en japonais étaient dithyrambiques : tous faisaient état d’une oeuvre bourrée de réflexions et traitant de thèmes résolument adultes, ce qui est exactement ce que j’aime. Mais les mises en garde pour l’apprécier sont incroyablement nombreuses et sans commune mesure avec les critiques les plus fréquentes trouvables sur Internet. Tout au plus, il est mentionné « Attention lire ceci peut vous donner envie de vous suicider » ce qui est assez terrifiant en soi.

Je ne peux qu'être en total désaccord avec la critique de Conjueror (paix à son âme)
Certes, il se dégage parfois de la beauté de l’histoire et son aspect chaotique (qui se traduit jusque dans ses graphismes) possède un certain attrait. Mais ces rares moments sont enfouis sous une tonne de scènes de torture, de viol et d’idéologie (volontaire ou non) extrêmement rance qui ne mènent que vers une fin bancale et peu satisfaisante.
Ce qui me conduit à la réflexion suivante : je ne vois pas recommander Subarashiki Hibi à qui que ce soit, pas même mes pires ennemis. J’ai même du mal à comprendre comment tant de personnes ont réussi à y trouver leur compte. A mon sens, il n’y a qu’une manière de passer outre le torrent de violence gratuite du jeu : c’est d’y avoir été désensibilisé. Exactement comme les incels, et beaucoup d’autres jeunes gens, qui sont exposé aux pires travers de l’Internet sans se rendre compte de l’effet que cela peut avoir sur leur bien être. Et je ne perçois malheureusement pas cela comme quelque chose de positif...
A suivre : [Annexe] Le traitement du viol dans Subarashiki Hibi