
Précedemment : Subarashiki Hibi – Red Pill Blues (1e partie)
III. Les deux visages de Kimika
Appropriation du deuil

Dans l’océan de noirceur que représente It's my Own Invention, le personnage de Kimika demeure la seule lueur d’intérêt salvatrice. Lors de leur première rencontre, Takuji interprète ses motivations de travers : elle lui laisse croire qu’elle est terrorisée par la malédiction qui frappe l’école et ne cherche à rejoindre sa secte que pour son propre salut. Le court flashback semble corroborer l’idée qu’elle faisait partie du groupe qui harcelait Zakuro avant sa mort et ne vaut donc guère mieux que les autres. Or, il est révélé, d’abord à travers l’une des deux branches alternatives lui étant dédiées, puis à travers Looking-Glass Insects, qu’elle n’est pas la personne sans cœur qu’elle prétend être.

En réalité, Kimika tenait énormément à Zakuro, qu’elle considérait comme sa seule amie, et ne la repoussait que dans l’espoir de lui éviter le harcèlement dont elle était elle-même victime. La trahison qu’elle mentionne devant Takuji n’est donc pas de l’avoir abandonnée mais d’avoir été incapable de la protéger au moment où cela comptait le plus. C’est toute la tragédie de la branche principale : Kimika se bat bec et ongles contre le groupe de délinquants qui s’apprête à enlever Zakuro pour la violer et elle finit à l’hôpital (un élément simplement suggéré par le scénario pour une raison nébuleuse).

Cette révélation rend l’ascension de Takuji en tant que gourou encore plus abjecte avec le recul : en prétendant avoir eu une relation (fantasmée) avec Zakuro et en faisant d’elle la figure de proue de ce qui est effectivement un groupe de suicide, il s’approprie entièrement le deuil, l’identité et la vengeance de Kimika. Bien qu’elle ait de bonnes raisons de le croire (à l’insu de Takuji, Zakuro avait bel et bien un béguin pour le véritable Mamiya), cela ne rend pas moins la manœuvre complètement obscène.

Il n’y a que dans la branche alternative de It's my Own Invention que Takuji, plus lucide, semble montrer un tant soit peu d’empathie à son égard, sans doute parce qu’il a véritablement eu l’occasion d’apprendre à la connaître en passant du temps en sa compagnie. C’est même ce qui rend la fin touchante : au lieu de sauter du toit perdu dans son délire, Takuji choisit de mourir avec elle en connaissance de cause. Ce n’est malheureusement pas la chronologie « correcte » : dans la branche principale, il se contente d’utiliser Kimika, y compris comme partenaire sexuelle (avec une alchimie inexistante).
Le rêve mouillé des conservateurs
Et c’est là que le personnage dévoile une facette bien moins reluisante. Alors que Takuji s’approprie tout ce qui est important à ses yeux avec un manque total de compassion, Kimika s’abaisse à le servir avec un zèle embarrassant. En atteste la scène absurde où elle insiste pour servir de fauteuil au messie et s’installe à quatre pattes par terre, ainsi que les nombreux moments où elle lui sauve la face ou prétend pouvoir mourir pour lui.

Même dans l’hypothèse où elle surjouerait la loyauté, il y a quelque chose de déconcertant à voir une femme brillante accepter d’être réduite au rôle de second couteau au profit d’un homme objectivement incompétent. La fin du chapitre suggère même qu’elle éprouve des sentiments pour Takuji !

J'ai du mal à le croire aussi, vois-tu...
Ce paradoxe s’explique malheureusement par le fait que Kimika en tant que personnage représente le rêve mouillé des conservateurs : c’est une otaku qui fait l’apologie des armes, qu’elle possède en nombre impressionnant, et n’hésite pas à rabaisser les autres femmes de la secte ou à laisser Takuji les traiter de manière dégradante. Elle ne semble par exemple aucunement sourciller lorsqu’il transforme Kiyokawa en toilettes publiques.

Miam, du sexisme intégré...
C'est bien connu : si c'est une fille qui traite les autres filles de salopes, c'est complètement ok !
Surtout, elle n’hésiter pas à clamer haut et fort être vierge, ce qui semble être une source de fierté personnelle, et en même temps elle prétend ne pas être célibataire volontairement. Autant dire que Kimika est une femme attirante parce qu’elle a la « sagesse » de connaître sa place et de ne pas essayer d’obtenir plus que ce que Takuji lui donne.

Son dakimakura la représente littéralement accompagnée de ses armes, ça ne s'invente pas !
La terrible implication de la « marchandise utilisée »
C’est en partie à cause de cette soumission aux attentes des hommes que le personnage prend une dimension problématique. Kimika et Zakuro partagent de nombreuses similitudes : toutes deux sont des otaku timides persécutées par leurs camarades de classe. On pourrait donc se demander ce qui les départage, en quoi leur sort a pu différer aussi drastiquement. La réponse suggérée par Subarashiki Hibi fait froid dans le dos. En valorisant sa virginité conservée dans It's my Own Invention comme une partie essentielle de son identité, Kimika se met inévitablement en comparaison avec son amie, qui elle a échoué à échapper au viol, et lui en fait donc indirectement porter la responsabilité. Après tout, si Kimika a réussi à protéger son corps de manière parfaitement irréaliste, cela sous-entend bien qu’il s’agissait d’une issue valable pour Zakuro, qu’elle aussi aurait pu se sauver si elle avait eu la même « présence d’esprit ».

La scène a beau faire mouche, l'implication demeure que Kimika défend sa virginité à coup de matraque
L’embranchement cryptique de Looking-Glass Insects accrédite cette interprétation. En effet, le seul choix du chapitre permet, soit de bifurquer vers une fin alternative heureuse, soit de continuer dans la chronologie principale. Dans le premier cas, le choix est positif puisque si Zakuro s’élève contre ses harceleuses, elle finit par triompher et retrouver une existence paisible. Mais cela insinue encore qu’il s’agit d’un choix, qu’il lui suffisait d’être aussi brave que Kimika, qu'elle est invité à émuler. En présentant son viol comme évitable, Subarashiki Hibi laisse entendre que sa responsabilité est au moins partiellement en cause, ce qui est parfaitement nauséabond.


Dans les deux branche de Looking-Glass Insects Ayana commente le "choix" de Zakuro
Même si ces insinuations ne sont pas volontaires de la part de l’auteur, certains des joueurs ne s’y sont malheureusement pas trompés. Une partie d’entre eux postent ainsi des messages sur 4chan, Reddit ou VNDB pour faire savoir leur vénération du personnage de Kimika et a contrario leur désapprobation à l’égard de Zakuro que les plus extrêmes n’hésitent pas à qualifier de « marchandise usagée ». C’est un terme abominable qui revient régulièrement dans les coins les plus inhospitaliers de la communauté visual novel et qui nie complètement le traumatisme qu’a pu subir le personnage en faveur du seul résultat que les posteurs estiment valables : vierge ou non vierge.
IV. La pilule empoisonnée
Le rouge et le noir
L’aspect problématique de Kimika n’est malheureusement que la face émergée de l’iceberg. Subarashiki Hibi, et It's my Own Invention tout particulièrement, présente en réalité des parallèles troublants avec une idéologie extrêmement dangereuse.

Le terme de « Red Pill » renvoie à Matrix dans lequel le héros doit faire le choix entre ingérer une pilule rouge, représentant l'accès à une compréhension lucide du monde, ou une pilule bleue, représentant l'ignorance. Le film fait également référence à Alice au pays des merveilles dans cette même scène en lui proposant de s’enfoncer plus loin dans le terrier du lapin. Subarashiki Hibi utilise exactement la même allégorie par le biais des titres des différents chapitres, tous inspirés du livre, et du choix final de Down the Rabbit-Hole I qui démarque la fin du rêve de Yuki et le début de l’horrible réalité qui attend le joueur. Une démarcation encore plus accentuée par la décision de Frontwing de publier le reste de la version anglaise sous forme de patch.

Malheureusement, l’allégorie de la pilule a récemment pris une tournure on ne peut plus sinistre puisqu’elle a été détournée pour signifier le début d’un processus de radicalisation d’un individu au sein de ce que l’on appelle la « manosphere », une coalition réactionnaire assez vague constituée d’artistes de la drague, de masculinistes et de célibataires involontaires (les incels). Tous ont en commun la même vision éminemment misogyne de la société : les femmes domineraient le monde et émasculeraient les hommes en choisissant leur partenaire sexuel. Je vous invite à regarder cette vidéo pour mieux comprendre la logique assez tordue de la manosphere et plus particulièrement des incels qui vont encore plus loin que l’allégorie originale en proposant une « Black Pill ». Selon la Black Pill, un homme qui n’est pas physiquement attirant (selon des critères absurdes) n’aurait aucune chance de coucher avec une femme, donc de trouver le bonheur, et la seule issue qui lui reste serait de se donner la mort.
C’est une idéologie pernicieuse d’une toxicité sans mesure qui a débouché ces dernières années sur des attentats suicide toujours plus nombreux commis en guise de vengeance sur ceux que les incels estiment être la cause de leur misère (majoritairement des femmes et des personnes de couleur). Et vous vous doutez que si je mentionne un sujet aussi grave, c’est que je veux en venir quelque part…
Note : Le visionnage des vidéos dédiées aux incels et à la radicalisation est hautement conseillé afin de partager le même socle de référence.

Breaking News : le mâle "alpha" est en réalité une énorme boule de viande sur laquelle des aliens ont implanté une tête via une tige en métal
A mon sens, Takuji personnifie les incels et son but ultime rejoint l’idéologie prônée par la Black Pill. Pour commencer, il est présenté comme le prototype même du mâle « beta » : c’est un otaku pleutre et faible qui est régulièrement brutalisé par ses camarades d’école. Il se démarque par son insignifiance, son manque d’estime flagrant et son incapacité à socialiser. A l’inverse, son harceleur principal est représenté par Shiroyama, un mâle « alpha » à la peau foncée et aux cheveux teints en blond. Son apparence est tellement ultra virile et ultra musclée qu’il est difficile de croire qu’il s’agisse véritablement d’un lycéen. C’est un délinquant peu cultivé qui passe son temps à prendre de la drogue et à coucher avec sa petite amie, Megu. Rien que dans leurs designs, Takuji et Shiroyama correspondent parfaitement aux caricatures de l’incel et du Chad (son ennemi juré).

Ce meme a été inventé avec Subarashiki Hibi en tête, c'est juste pas possible autrement !
La haine des femmes comme socle d’identité de Takuji
Les similitudes ne s’arrêtent pas là puisqu’il devient vite évident que Takuji se réfugie dans la haine en réaction au rejet permanent dont il fait l’objet. Un fait qui est apparent dès le début de It's my Own Invention à travers sa relation avec Zakuro qu’il vient tout juste de rencontrer. Bien qu’elle soit son pendant féminin, il n’a que très peu d’empathie à son égard et se montre brusque, voire cassant, en lui faisant notamment remarquer qu’être une fille otaku n’est qu’un moyen pour elle de chercher l’attention. Il ne l’invite dans sa cachette qu’à contrecœur après s’être vu offert la preuve irréfutable de sa sincérité (elle est recherchée par les mêmes brutes qui font de sa vie un enfer).


Comment faire fuir les filles en 2 étapes simples
Alors qu’il a l’occasion rêvée de se faire une amie, Takuji ne cesse d’objectifier Zakuro, notamment au travers d’hallucinations sexuelles qui nous sont présentées en détails graphiques dans la branche principale où il l’imagine à la fois vierge et dépravée. Même si le lecteur fait le choix de se débattre contre ces tendances pour rester lucide, la différence de comportement se fait très peu sentir : Takuji semble viscéralement incapable de considérer Zakuro comme une égale, comme le montre la différence flagrante entre ses visions perverses (il l’imagine se masturber ou présenter son vibromasseur préféré) et l’innocence des motivations de la jeune fille qui partage simplement son carnet de dessins.


Pendant ce temps la perspective de Zakuro achève d'expliquer pourquoi elle n'a pas eu super envie de rester bavarder avec Takuji
Un court flashback nous montre d’ailleurs comment il a été publiquement humilié par une fille dont il était amoureux et comment elle a pris un malin plaisir à lui faire du mal. Cette séquence lui sert de socle philosophique pour considérer toutes les femmes comme des êtres étrangers et fourbes. C’est sur cette expérience de rejet qu’il se base pour expliquer en quoi c’est un vermisseau dont le sexe opposé ne voudra jamais.

Pourtant, bien qu’il suspecte Zakuro de le trahir à son tour, Takuji réagit très mal au fait qu’elle ne revienne pas le voir, ce qu’il semble considérer comme un dû. Il semble paradoxalement la détester car elle possède ses propres priorités mais en même temps rechercher sa présence. Il se mettra à l’idéaliser encore davantage après sa mort au point de se persuader qu’ils formaient un couple et qu’elle était dingue de lui !

C'est bien connu : TOUTES les femmes sont les mêmes
Une fois éveillé en temps que messie, Takuji ne s’améliore guère puisqu’il utilise l’influence qu’il acquiert à travers son culte de mort pour assoir sa domination sur celles qui l’entourent. Excepté le moment où il agresse un de ses professeurs avec un vase durant son grand discours, ses victimes sont très majoritairement des femmes. Ainsi, il abuse verbalement les jumelles qu’il déteste viscéralement pour ce qu’elles représentent, recrute essentiellement des filles dans sa secte (dont le but est je le rappelle de se suicider), viole imaginairement Ayana parce qu’elle ose lui résister et jette Kagami aux loups parce qu’elle refuse de se soumettre. De même, il fait subir des humiliations répétées à Kiyokawa alors qu’elle ne demande qu’à rejoindre sa secte.

Vous serez heureux d'apprendre qu'il y a une variation "couverte d'urine" pour le sprite de Kiyokawa
Punir les femmes sexuellement actives
Mais là où la misogynie de Takuji, et en filigrane de Subarashiki Hibi, apparaît de la manière la plus flagrante se trouve dans le traitement qui est réservé aux différents antagonistes de l’histoire. Ainsi le gourou se concentre quasiment exclusivement sur les bourreaux qui ont harcelé Zakuro et non les siens.

Megu et Satoko : des stéréotypes sur pattes
Le problème est que Subarashiki Hibi semble attribuer la majorité de la responsabilité des événements de Looking-Glass Insects aux antagonistes féminins (Megu et Satoko). Leur description n’est d’ailleurs pas innocente : toutes deux représentent l’archétype des filles superficielles et sexuellement actives. Bien que tout porte à croire que Shiroyama soit l’ennemi principal (c’est lui qui désire coucher avec Zakuro qu’elle soit consentante ou non), en fin de compte c’est Megu qui orchestre le viol pour lui faire plaisir. Elle est présentée comme celle qui tire les ficelles dans l’ombre, la peste égoïste qui utilise sa sexualité pour manipuler les autres et Shiroyama ne serait qu’un homme de main sans cervelle. Ce qui n’a pas de sens : originellement Megu ne martyrise Zakuro que parce qu’elle est jalouse qu’il ait posé les yeux sur elle. Subarashiki Hibi est à deux doigts de devenir intéressant lorsqu’il révèle, au détour d’une tournure de phrase, que Megu a été violée plus jeune et que faire subir la même chose à une autre est sa manière de traiter son traumatisme. Mais l’information est aussitôt oubliée en faveur de méchants unidimensionnels.

It's my Own Invention surenchérit sur ce modèle avec une des scènes les plus incompréhensibles du jeu. Une fois devenu messie, non seulement Takuji ne cherche pas particulièrement à se venger des lycéens qui l’ont brutalisé, mais il va même jusqu’à récompenser son violeur ! En effet, la justification de Nishimura (un des sous fifres de Shiroyama) pour l’avoir forcé à lui prodiguer du sexe oral est qu’il est encore puceau et qu’il ne le supporte pas. Nishimura est prêt à tout pour coucher avec une femme et il rêve plus que tout d’expérimenter un threesome. C’est donc ce que Takuji lui promet en échange d’une mission dangereuse qui consiste à voler de la drogue à des yakuzas. On pourrait croire qu’il s’agit d’une parole en l’air visant surtout à le manipuler.

Contraindre une ancienne victime à avoir des relations sexuelles est encore plus eurg...
Or quand Nishimura, gravement blessé, semble sur le point de mourir, il réitère sa promesse et somme une nouvelle fois Megu et Satoko de le servir sexuellement qu’elles le veuillent ou non…parce qu’il compatit à son tourment. Pire, Takuji ne semble même pas être conscient de condamner indirectement son violeur à mort quand il l’empêche d’aller à l’hôpital pour traiter ses blessures, ce qui fait que cela ne sonne absolument pas comme une vengeance, simplement un résultat annexe. Cette différence de traitement est absolument disproportionnée, au détriment des personnages féminins.

Au final, Shiroyama, l’antagoniste principal, est déjà mort par accident avant la vague de folie qui s’empare de Kita High et Nishimura, le violeur de Takuji, bénéficie d’un cadeau avant la sienne. En comparaison Megu et Satoko sont terrorisées (via les messages maudits), obligées de participer à des orgies et poussées au suicide lors du grand rituel.
Reprendre possession de sa virilité…à travers le viol
Au-delà du traitement réservé aux femmes dans l’histoire principale, la progression des scènes de sexe impliquant le messie dans It's my Own Invention semble suivre les doctrines de la manosphère à la lettre, ce qui ne fait que corroborer mon hypothèse. Ainsi, la toute première scène sert d’émasculation symbolique : Takuji y est forcé de se travestir avec un uniforme féminin, moqué pour la taille de son pénis et enfin violé par Nishimura parce qu’il ressemble trop à une fille.

Les scènes qui suivent font alors office de parcours initiatique où Takuji reprend peu à peu possession de sa masculinité, d’abord avec des partenaires fantasmées, puis réelles. Celle de Riruru sert par exemple de transition : elle est consensuelle mais l’échange de pouvoir y est constant, comme s’il fallait forcément qu’il y ait un dominant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Riruru est présentée comme hermaphrodite et que Takuji le prenne comme quelque chose de positif : parce qu’elle possède un pénis, elle serait « comme lui », ce qui le rassure.

Au cas où vous ne l'auriez pas encore remarqué : il m'est difficile d'illustrer mes arguments sans flouter la moitié de l'écran...
A l’inverse, Ayana a beau posséder les mêmes propriétés (du moins en fantasme), elle n’est jamais désignée que par des insultes. C’est Takuji qui prend l’initiative, puisqu’il s’agit d’un viol, et qui la « purifie par le sperme ». Dans la mesure où les seuls personnages hermaphrodites apparaissent à ce moment de l’histoire et ne sont même pas réels, je ne pense pas que SCA-JI ait cherché à être progressif : les femmes à pénis sont seulement utilisées comme raccourci symbolique. C’est par le viol d’Ayana que Takuji complète sa transition et se prouve à lui-même sa virilité, ce qui mène à la scène de sexe finale avec Kimika.


Comme il s’agit du seul rapport sexuel réel du personnage, c’est également un tournant symbolique : avant de se suicider, les deux jeunes gens se débarrassent de leur virginité. Et bien que les fidèles soient complètement endoctrinés à ce stade de l’histoire, le rituel orchestré par le messie ressemble de manière dérangeante à un attentat suicide…commis pour se venger de ceux qui l’ont persécuté toute sa vie.
Une obsession qui va beaucoup trop loin
Takuji présente beaucoup trop d’affinités avec l’idéologie de la Black Pill pour que ce ne soit qu’une simple coïncidence, cependant je ne crois pas que ce soit intentionnel de la part de l’auteur. Pour commencer, le mouvement des incels n’a pris de l’ampleur que très récemment, bien après la sortie de Subarashiki Hibi au Japon.
Takuji se rapproche de manière troublante de la façon de penser dramatique des incels telle que le décrit Contrapoints dans sa vidéo sur le sujet (notamment la liste qui apparaît entre 13:45 et 14:02)
L’ambiguïté provient essentiellement du fait que le texte ne fournit pas d’indice quant à l’allégeance politique de SCA-JI : It's my Own Invention est présenté comme tel, sans commentaire ou correction. On ne sait donc pas s’il sanctionne ce genre d’idéologie ou non. Et c’est l’absence suffisante de recul qui génère le malaise. Il est donc malheureusement logique que le chapitre de Takuji soit régulièrement encensé de manière non ironique par les posteurs de 4chan comme le meilleur du jeu. Ils ne perçoivent probablement pas en lui un garçon confus mais un ancien « beta » qui a réussi à réparer l’injustice qui lui était faite par la société (et les femmes). Subarashiki Hibi est même utilisé là-bas comme outil de propagande affilié à la Black Pill.

Une rapide recherche Google sur le jeu mène à ce genre de résultat
Il faut cependant mentionner que la communauté visual novel est déjà un terreau fertile aux idées les plus réactionnaires. En effet, les eroges japonais développent une forme d’obsession de la jeunesse qui, bien qu’elle s’explique par des facteurs culturels, fait écho aux préoccupations des incels. Une de leurs théories est que si un homme ne perd pas sa virginité à l’adolescence, le moment où une relation amoureuse serait la plus pure, alors son salut est impossible. Pourquoi l’adolescence ? Parce que ce serait le seul moment où la femme serait encore vierge, donc désirable. Inutile de dire qu’il y a une forte compatibilité avec les eroges puisque le héros y est très souvent un lycéen entouré de jeunes filles innocentes qui ne demandent qu’à le servir. Subarashiki Hibi ne fait pas exception mais le titre a le malheur d’aller beaucoup trop loin dans l’analogie avec la Black Pill.
Tentative d’explication : Tsui no Sora ou la genèse compliquée
Cela s’explique en partie par la genèse très particulière de Subarashiki Hibi. En effet, il s’agit d’une réécriture de Tsui no Sora, un autre visual novel de KeroQ sorti en 1999. Tsui no Sora partage de nombreux éléments avec son successeur, notamment la vague d’hystérie qui secoue la ville. Ainsi, les hallucinations de Takuji et l’aspect denpa proviennent très vraisemblablement de 1999.

Selon les rares témoignages de ceux qui y ont joué (car le titre n’a jamais été traduit), Tsui no Sora serait moins bien écrit et moins satisfaisant que Subarashiki Hibi mais explique certaines des bizarreries du jeu comme la présence de personnages très peu utiles (en réalité des reliques du passé) et la surenchère de violence. Toujours selon ces mêmes sources, Subarashiki Hibi serait la manifestation de la volonté du scénariste de subvertir son texte original qu’il juge désormais immature. Il aurait par exemple modifié le viol de Zakuro afin de le rendre moins excitant, transformé Minakami en femme et rendu certaines scènes imaginaires pour qu’elles soient moins conventionnelles.


La même illustration avec 10 ans d'écart
Or, le paradoxe est que Subarashiki Hibi va tellement plus loin que Tsui no Sora que sa lecture n’est plus conseillée (ce serait une version inférieure) mais qu’il ne va finalement pas assez loin pour se débarrasser de son ombre. Il y a de fortes chances que les éléments les plus problématiques du jeu, comme la perspective de Takuji, trouvent leur origine dans Tsui no Sora et que SCA-JI n’ait tout simplement pas réussi à s’en débarrasser dans la nouvelle version. Pire, en essayant de donner davantage de sens à son histoire, il en a ajouté de nouveaux ! Ce qui nous amène à la seconde partie de l’histoire qui introduit un changement de ton radical…