Puisque j’abordais Märchen la dernière fois, je me suis dis que c’était l’occasion ou jamais de parler d’un sujet que j’aime beaucoup : les contes de fées. Il y aurait mille approches du sujet à adopter mais je n’en choisirai qu’une, plus restrictive et plus facile à traiter : la transcription par Disney de certains contes. Et ce afin de mettre en lumière un problème majeur pour moi : la perte de la pluralité de sens.
J’ai été nourrie et élevée par les contes de fées depuis que je suis en âge de lire et encore aujourd’hui le sujet me fascine ; je suis capable de vous réciter par cœur Les habits neufs de l’Empereur, La grotte des korrigans, Peau d’ours et bien d’autres. Malgré le fait que j’ai une certaine préférence pour raconter de vieilles histoires un peu oubliées qui font le bonheur des enfants curieux (je suis un livre ambulant, c’est un plus quand on travaille en centre aéré) j’apprécie bien sûr énormément les classiques popularisés par Disney que tout le monde connaît. D’ailleurs des Disney j’en ai regardé toute petite et j’aimais beaucoup Le Roi Lion, Aladin ou La Belle et la Bête, mais je ne connaissais la « trinité » que via les frères Grimm ou Charles Perrault, aussi je dispose d’une vision assez particulière en la matière. Et, après visionnage récent des contes de fées adaptés par Disney, j’ai pas mal à dire et je risque d’être particulièrement grinçante !
La « trinité »
Blanche-Neige / Cendrillon / Belle au bois dormant
Blanche-Neige
Premier long-métrage de Disney, Blanche-Neige reprend Schneewittchen des frères Grimm en adoucissant certains éléments plus ou moins violents du conte originel, je ne m’attarderai pas sur la transformation des nains en personnages comiques ou des animaux choupinets qui pullulent de partout et qui font avant tout partie d’une esthétique, ce qui m’intéresse le plus ce sont trois points très particuliers.
La scène du balcon
Le premier est la pseudo-romance avec le Prince Charmant qui a lieu dès l’introduction. Elle a, selon moi, deux rôles : il s’agit d’abord de crédibiliser le final et de le rendre plus « romantique ». Car dans le conte, la jolie Schneewittchen n’a jamais rencontré son bienfaiteur avant sa mort, il ne la cherchait pas elle particulièrement et ne l’a pas embrassé non plus ; il passait par hasard dans la forêt, est tombé amoureux du cadavre et souhaitait l’emmener avec lui, ce sont les nains qui la font revenir à la vie en laissant tomber le cercueil, ce qui a pour effet de la faire cracher le morceau de pomme empoisonné qui la maintenait endormie. Tant qu’on ne s’interroge pas sur la possible nécrophilie que suggère la situation (ramener un cadavre chez soi même pour décorer son salon est très malsain comme comportement, même pour un esthète) ni sur la pédophilie latente du prince (voir fun fact ci-dessous) tout va bien. Rajouter une première rencontre permet de lever l’ambiguïté mais aussi de monter de toutes pièces un modèle d’identification.
En effet, quoi de plus artificiel que cette scène d’amour au tout début du dessin-animé ? On y voit une charmante jeune fille, elle n’a aucune caractéristique particulière, un beau jeune homme, il n’a aucune personnalité préétablie, et les deux se comptent fleurette dans une sorte d’hommage à Roméo et Juliette (pensez à la scène du même nom), c’est un archétype usé jusqu’à l’os, un symbole qui vise à l’identification du spectateur. N’importe quelle personne qui regarde Blanche-Neige peut transposer sa propre histoire sentimentale dans ces deux protagonistes fantoches et finalement s’approprier ce qu’il voit très rapidement, même inconsciemment. Disney a vraiment poussé la malice jusqu’au bout et on ne peut pas ne pas reconnaître que c’est bien joué de leur part.
Fun fact : dans la version des frères Grimm, Blanche-Neige n'a que 7 ou 9 ans
Magie noire et magie blanche
Le deuxième élément concerne le personnage de la belle-mère. Evidemment, sans surprise, elle nous est présentée comme la méchante. Il aurait été utopique de demander au studio de nous faire de la psychanalyse en tentant de justifier sa peur panique de la vieillesse (au fond c’est une étape allégorique par laquelle passe toutes les mères quand elles constatent que plus leurs enfants grandissent et s’épanouissent, plus elles se flétrissent) mais on peut noter, du point de vue de la représentation, qu’il ne s’agit pas de n’importe quel type de femme. La belle-mère est présentée comme une reine, celle qui détient le pouvoir. Selon Robin Allan dans Il était une fois Walt Disney « elle représente la femme redoutée par les hommes dans une société dominée par les hommes ». Intéressant, non ? Autrement dit Blanche-Neige est avant tout la confrontation entre deux idéals : d’un côté la femme qui domine, de l’autre la dominée. La soumise est une « gentille princesse » et la gouvernante assimilée à une sorcière monstrueuse (on pourrait faire un chouette rapprochement avec le visual novel d’Utena).
Et c’est aussi là que se trouve une différence majeure avec le conte originel : chez les frères Grimm, la reine se déguise en vieille femme mais redevient belle, alors que chez Disney tout se passe comme si la sorcière était son véritable visage enfin dévoilé. La scène de transformation, à cet égard très perturbante, n’est pas sans rappeler Docteur Jekyll et Mister Hyde, le roman noir de Stevenson (dont je vous recommande vivement la lecture). Le fait que la méchante belle-mère meure sous son apparence diabolique ne fait qu’amplifier ce sentiment. On perd donc tout l’aspect « humain » du personnage, ce qui est bien dommage.
Le triomphe de l’idéal pur
Le troisième élément n’est pas un ajout mais bien une disparition, celle de la fin de l’histoire ! Car en réalité la belle-mère n’est jamais tombée du haut d’une falaise pourchassée par des nains à dos de Bambi (même si je reconnais que c’est une mort grandiose et ridicule à souhait), elle est rentrée au château et a cru avoir accompli son terrible dessein. Comme Blanche-Neige est restée un moment sans pourrir dans son cercueil de verre, elle a baissé sa garde en la croyant définitivement morte et enterrée. Et c’est là qu’intervient ce qui m’intéresse. La miraculée épouse le prince en grandes pompes et invite sa meurtrière qui, après avoir entendu le miroir magique lui souffler que la nouvelle reine du pays voisin était plus belle qu’elle, ne résiste pas à la curiosité. Et là on la force à chausser des souliers en feu jusqu’à ce qu’elle crève dans d’atroces souffrances aux yeux et à la vue de tous les convives. Visiblement Blanche-Neige n’a pas vraiment apprécié qu’on l’empoisonne et elle se venge de manière tout aussi cruelle. Concrètement, que nous montre cette fin ? Que la jeune fille est avant tout humaine et donc tout aussi encline que sa belle-mère à tuer son prochain. C’est un peu un rappel qui souffle au lecteur : certes Blanche-Neige est une pauvre petite victime sans défense mais ne va pas croire qu’elle ne peut pas se retrouver du côté du bourreau. On perd dans la version Disney toute la violence mais aussi toute la symbolique de ce « retour de karma », ce qui fait de leur héroïne une sorte d’oiselle naïve et innocente, trop pure pour être au fond crédible. Le prince l’emporte sur son cheval blanc, la fable ne se termine au fond jamais, il n’y a pas cette rupture nécessaire mise en place par l’original.
Cette image me fait penser que je ne dois jamais vous parler de Pretear, l'adaptation anime "magical girl" de Blanche Neige
Cendrillon
Des années après Blanche-Neige, le studio Disney adapta de nouveau un conte, de Charles Perrault cette fois-ci (on verra pourquoi la version Grimm n’a pas été retenue) avec toujours plus d’animaux mignons qui chantent et qui dansent et une esthétique toujours aussi particulière. Comme je vais avoir énormément de choses à dire sur Cendrillon je vais essayer d’écourter cette présentation avec deux points et réserver le reste pour plus tard.
Une Cendrillon cyber-punk, moi je signe tout de suite
La famille d’abord
Un des changements opéré par Disney par rapport à la version de Perrault porte sur la fameuse scène du bal. Pour mémoire, dans le conte la demoiselle ne se contente pas de batifoler avec le prince lors du premier bal. Prince qu’elle a par ailleurs bien identifié, contrairement à la Cendrillon de Disney qui passe totalement à côté de la célébration en tombant amoureuse du premier garçon qu’elle voit sans jamais faire de rapprochement avec son statut royal (pour louper le seul gus debout forcé à faire des courbettes à tout ce qui porte fanfreluches et rubans à 500 mètres à la ronde il faut vraiment être myope…). La jeune fille du conte saisit en fait la première occasion qu’elle a pour aller à la rencontre de ses vilaines sœurs. Au premier abord, on pourrait trouver ça assez absurde : après tout elle les côtoie tous les jours ses sœurs, elle n’a pas besoin d’assister à une réception pour les approcher. Mais en y repensant bien, on se rend compte que ce léger détail n’est pas là par hasard. Dans cette impulsion bien plus puissante que celle qui la pousse à courtiser le prince, elle semble tout simplement réclamer l’affection de sa famille en recherchant un contact affectif dont elle est privée la plupart du temps. Elle utilise donc son déguisement de princesse pour avoir un rapport d’égal à égal avec ses sœurs et c’est bien en leur compagnie que sonne l’horloge qui la force à s’enfuir. Elle ne sera vraiment avec le prince que lors du second bal, un peu comme si la relation sentimentale nécessitait d’abord une sorte de purge émotionnelle du point de vue familial. La Cendrillon de Perrault a d’abord besoin de se sentir aimée de sa famille, même si ce n’est qu’à partir d’un stratagème, avant de pouvoir songer à l’amour alors que la Cendrillon de Disney, en plus d’être sacrément myope donc (un subterfuge bien maladroit si vous voulez mon avis), pense immédiatement à l’amour, ce qui n’est pas forcément une bonne chose.
Méchants et gentils : même rêve, même combat
Il existe énormément de variations du mythe de Cendrillon que j’étudierai tout à l’heure, mais il y en a une qui, je pense, doit être évoquée tout de suite : celle des frères Grimm. Dans cette histoire, point de bonne fée, la jeune fille reçoit sa robe d’un arbre magique qui pousse sur la tombe de sa mère. La scène de l’essayage de la pantoufle qui suit est juste incroyablement gore : les deux vilaines filles n’arrivent pas à rentrer leurs pieds dedans alors chacune à son tour, en suivant l’ordre pressant de leur mère, se résout à se couper, pour l’une l’orteil, pour l’autre le talon. Inutile de dire que le soulier dégouline de sang et que l’arbre magique prévenant le prince de la superstition, ce dernier se trouve passablement dégoûté d’un tel spectacle. Pourquoi mentionner ce passage peu ragoûtant ? A mon sens il illustre un point que Disney a laissé dans l’ombre : Cendrillon comme ses sœurs, et comme des centaines d’autres jeunes filles dans le royaume, partagent le même rêve. Toutes veulent s’élever socialement en épousant le prince et ce au prix de sacrifices s’il le faut. Pour moi Disney s’y prend assez mal pour dissimuler ce trait de caractère de l’héroïne qui transparait tout de même dans le songe qu’elle fait au tout début du dessin-animé. Au fond les deux sœurs de Grimm, bien que lâches, prouvent en se mutilant atrocement le pied qu’elles aussi sont prêtes à tout pour prendre la place de reine. Certes Javotte et Anastasie ne vont pas aussi loin mais c’est le même sentiment.
A noter qu’à la fin du conte de Perraut, les sœurs de Cendrillon s’excusent de l’avoir malmené quand elles comprennent que la demoiselle en haillons et la belle inconnue qu’elles admiraient ne font qu’une, lui apportant ainsi la reconnaissance tant attendue. En retour la nouvelle reine s’arrange pour les placer à la cour avec des gentilshommes fortunés. L’absence de ces éléments dans la version Disney efface la dimension « familiale » du conte pour ne garder que l’histoire d’amour, ce qui est un peu dommage.
Que serait cet article sans version moe et à moitié à poil d'une princesse, je vous le demande...
Belle au Bois Dormant
Concluant la trinité des contes de fées classiques remaniés par Disney, La belle au bois dormant a de particulier que le dessin-animé se devait de s’émanciper de Blanche-Neige qui lui ressemblait un peu trop et donc que le « scénario » a dû subir plusieurs modifications comme l’intégration d’un archétype amoureux très courant et plutôt bien utilisé (le malentendu princesse/paysanne, la fausse opposition au mariage arrangé) ou des effets spéciaux avec l’intégration d’un combat contre un dragon maléfique. Pourtant le studio aurait très bien pu s’inspirer de la seconde partie du conte présente chez Perrault où la mère du prince est une ogresse tyrannique qui projette de croquer sa belle-fille. Il faut croire que la belle-mère cannibale faisait moins sexy comme sujet…
Briseur de romantisme
Je ne peux m’empêcher de rappeler que dans les versions les plus archaïques de la Belle au Bois Dormant, la belle ne se réveille pas au bout d’un simple baiser mais uniquement lorsque, après une ellipse de neuf mois tout rond, un charmant nouveau-né vient lui sucer le doigt, lui retirant ainsi l’épine ensorcelée qui la maintenait endormie. Oh, bien sûr, elle marie ensuite avec son violeur mais on ne pourra pas dire que sa première fois ait été glamour. Dans le cas d’une partie du roman de Perceforest (écrit entre 1300 et 1350) mettant en scène la princesse Zellandine, le violeur en question se trouve être son amoureux, le chevalier Troïlus, qui tentait de la guérir de son mal par sa méthode très spéciale…je ne sais pas si c’est mieux à vrai dire.
L’anecdote glauque étant passée, je citerai encore Le soleil, la lune et Thalie, une autre itération du conte où cette fois le prince est déjà marié avec une autre quand il rencontre Thalie et fait son affaire avec elle. Il a l’attitude sympathique de la planquer dans son château quand il découvre qu’il est papa et se prend d’affection pour ses deux rejetons. Dommage que la reine apprécie moins de se voir trompée et essaye de massacrer sa rivale qui prend finalement sa place (je ne serais pas surprise que ce soit l’inspiration de la partie ogresse de l’histoire de Perrault).
Dans la version de Perrault la princesse est bien réveillée par un baiser mais elle est ensuite réduite à l’état de courtisane que son bien-aimé visite de temps en temps avant que son froussard de mari ne profite de la mort de son père pour la faire monter sur le trône. Dans tous les cas, La belle au bois dormant perd cette aura de romantisme absolue érigée par Disney pour nous rappeler que la sorcière ne l’a pas forcée à faire la sieste mais lui a bel et bien jeté une malédiction.
Normalement au bout de 100 ans de sommeil, on ressemble plus à ça qu'à une jeune fille fraiche et en bonne santé
La problématique du mérite
Maintenant que j’ai énuméré plus ou moins rapidement ce qui me paraissait être les différences primordiales entre les contes papier et leur adaptation Disney, il est temps de soulever le problème que posent ces variations et qui est la perversion de la notion même de mérite, de récompense.
Vraies fausses victimes du destin
Car voilà, chaque héroïne obtient son happy end, mais qu’ont-elles réellement fait pour y parvenir ? Le bonheur ça ne descend pas du ciel comme par magie, ce n’est pas non plus un dû, c’est quelque chose pour lequel on doit travailler. Par exemple, si vous êtes amoureux de quelqu’un et que vous voulez que vos sentiments soient réciproques, il faut bien se bouger et tout mettre en œuvre pour que cela marche (et évidemment ça ne fonctionne pas à tous les coups, ce serait trop simple).
C’est là que ça devient marrant. Blanche-Neige, on la voit nettoyer une fois la terrasse, chanter et danser avec les animaux et éventuellement faire le ménage dans une maison (enfin faire le ménage est un grand mot, elle se contente de passer le balai, les animaux choupi-trognons font tout le reste). Ah, et elle cueille des fleurs aussi. On ne peut donc pas dire que la charmante demoiselle ait fait grand-chose pour être heureuse sinon rester jeune et jolie même sous son cercueil de verre.
Cendrillon ? C’est un cas un peu plus subtil mais si on n’y regarde de plus près, c’est le même schéma. Dans le conte de Perrault un petit passage nous indique qu’elle se propose de coiffer ses sœurs pour le bal, preuve d’une certaine noblesse de cœur tout de même puisque rien ne l’y oblige. Dans le dessin-animé, la jeune fille réalise toutes les tâches sous la contrainte et s’occuper de ses sœurs n’est qu’une corvée parmi d’autres. Cela n’a l’air de rien comme ça mais en vérité ça dit tout du personnage : Cendrillon n’est jamais caractérisée que de manière indirecte, c'est-à-dire qu’on ne nous montre jamais ses vertus mais uniquement les défauts de Javotte et Anastasie. Le procédé est un peu pervers dans le sens où tout repose sur une comparaison. Mettre une souris à côté d’un éléphant la fait paraître minuscule, mais à côté d’un microbe elle est énorme. Mettre une personne détestable à côté de personnes encore plus détestables qu’elle la fait passer pour un parangon de vertus. Aussi s’il est absolument certain que Cendrillon est martyrisée, ça n’en fait pas quelqu’un de bien pour autant. Il suffit de lire la fin de l’Histoire de la princesse Rosette de la Comtesse de Ségur, une autre variante de Cendrillon, pour s’en convaincre : les deux sœurs, Orangine et Roussette, sont punies par la fée pour avoir tenté d’assassiner l’innocente demoiselle ; elles sont devenues défigurées et mariées à deux brutaux chargés de les battre tant qu’elles n’auront pas montré signe de compassion. Et vous savez quoi ? Orangine et Roussette restent comme cela toute leur vie parce qu’elles sont incapables de surmonter leur jalousie. Elles sont victimes de leurs maris respectifs ; sont-elles pour autant de bonnes personnes ? Non. Cendrillon est la servante de la maison ; ce statut la rend-elle automatiquement et fondamentalement gentille ? Non.
Tout cela fait que la version Disney en forçant outrageusement le trait des méchantes nous pousse à plaindre instinctivement la victime mais cette dernière n’a en elle-même, aucune qualité apparente (elle sait chanter et danser, youhou). Elle n’a pas l’astuce de l’héroïne éponyme du conte Finette Cendron, autre variation qui mélange Cendrillon et Petit-Poucet de manière assez intéressante, qui elle prend l’initiative, désobéit à sa marraine, sauve ses sœurs Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit (des noms narcissiques traduisant à merveille le caractère des personnages), se fait battre par elles, terrasse un ogre, charme le prince, humilie ses sœurs et finalement les récompense elles et leurs parents forcés de les abandonner. La chatte des cendres, de Basile, quant à elle, met au jour un aspect du conte particulièrement ironique : c’est Cendrillon (ici nommée Zezolla) qui tue sa belle-mère grognon mais inoffensive pour que son père épouse son institutrice (la Carminosa), institutrice qui se révèlera finalement bien plus terrible que la précédente épouse et qui la maltraitera. C’est une belle leçon que de voir que Zezolla est punie pour avoir orchestré le meurtre de sa deuxième mère pour finalement se repentir et trouver le bonheur tandis que la Carminosa est aussi punie pour ne pas avoir tenue sa part du marché.
De la même manière la Belle au Bois Dormant est sans aucun doute la plus dotée et la moins méritante du lot. Elle n’aura eu qu’à naître et la voilà déjà prédestinée à une beauté époustouflante et à épouser un beau prince en bonus. Le maléfice qu’elle subit paraît complètement inoffensif vu qu’étant endormie, elle n’a conscience de rien et que Disney ne la laisse même pas dormir les cent années qu’aurait dû durer le sortilège.
Morale contemporaine
Les héroïnes de ces trois dessins-animés apportent à mes yeux un énorme problème de représentation. De nos jours les enfants connaissent d’abord les contes de fées à partir de Disney, ils lisent de moins en moins les contes originels qui possèdent pourtant bien plus de facettes et de complexité qu’il n’y paraît. L’avantage du support papier est que la caractérisation du personnage n’a pas besoin d’être subtile, il suffit de jeter un « la douce jeune fille » ou un « la pauvre enfant » par-ci, par-là, pour que le lecteur intègre que la princesse possède un certain nombre de vertus. Dans un long-métrage c’est bien différent. Le parti-pris esthétique de Disney a beau être très intéressant, il force les scénaristes à négliger des détails au premier abord anodins et en réalité très révélateurs (n’oublions pas qu’un conte est bien souvent bref, il n’y a pas de longue description interminable à la Balzac, l’auteur va à l’essentiel, il est donc difficile de retrancher quelque chose) au profit d’autres éléments. Il en découle une aseptisation certaine du conte et la nouvelle morale qui s’en dégage me paraît particulièrement malsaine.
Je ne me souvenais pas que la sorcière était aussi sexy dans le dessin-animé...
Quel est le message que suggère cette trinité, notamment aux filles ? Femme, sois belle et le bonheur te tombera tout cuit dans le bec. Voilà c’est tout ! Blanche-Neige est jolie, elle se contente de faire une tarte aux prunes et de temps en temps elle passe le balai : elle récupère le prince charmant à la fin. Cendrillon est jolie, elle fait le ménage et va pleurnicher sur les genoux de sa marraine : elle récupère le prince à la fin. Aurore est jolie, elle danse avec un hibou dans la forêt et elle roupille en attendant que quelqu’un vienne lui apprenne à se servir d’une aiguille à coudre : elle récupère le prince à la fin. Toi, fille ordinaire, sois jolie, soigne ton apparence (tiens, exactement comme le font les méchantes sœurs des contes originels) et attends : tu récupéreras le prince à la fin. Crois juste en tes rêves et ne fais jamais rien pour les réaliser. Quel message paradoxal ! Sous les dorures de ces magnifiques dessins-animés, on gratte à peine et on trouve déjà le germe d’une morale d’autant plus dangereuse qu’elle se grave en nous sans qu’on n’y fasse attention (c’est la magie du conte).
Aussi suis-je consternée encore aujourd’hui lorsque je rencontre des filles qui ont pour modèle plus ou moins inconscient cet idéal « disneylien » parce qu’au fond elles se rendent malheureuses elles-mêmes en espérant quelque chose d’impossible, en essayant de satisfaire des exigences trop hautes. J’en ai connu et je me rappelle nettement les avoir choqué en soulignant le fait que le prince de Blanche-Neige est, sans nul doute, un nécrophile (ou alors un type louche), comme si je brisais un doux rêve.
« Il y a quelqu’un pour moi quelque part, je l’attends sous mon cercueil de verre. Il y a quelqu’un rien que pour moi, quelqu’un à qui je suis nécessaire, il me cherche dans les plaines, dans les forêts, en haut des montagnes, au fond des gouffres. Il y a quelqu’un qui va venir me chercher, il m’emmènera dans son château, dans cette bulle d’amour que rien ne brisera. Il y a quelqu’un pour moi, j’étouffe d’attendre sous mon cercueil de verre. »
Une Rapunzel cyber-punk, je veux bien aussi
La thématique des Deux Soeurs
Face à ce souci de représentation qui crée des ambiguïtés, mon alternative est un autre conte très proche de Cendrillon à une grosse différence près, différence qui change toute la portée de la fable. En effet le motif qui m’a le plus marqué dans ma jeunesse est de loin celui des « Deux Sœurs », représenté par une multitude de versions dont la plus connue est Les fées de Perrault. La structure narrative est quasiment identique à Cendrillon : Le père veuf se remarie avec une belle-mère acariâtre qui considère sa fille comme un trésor et maltraite celle qui n’est pas la sienne. A la fin, la victime se marie avec le prince. L’évènement qui relie l’introduction et la conclusion n’est pas un bal (évènement mondain par excellence et donc plein d’artifices, de mensonges, le règne de l’apparence) mais une épreuve que les deux sœurs passent chacune à leur tour. L’une triomphe et est récompensée, l’autre échoue et est punie.
Dans Les deux galettes de Basile, les sœurs deviennent cousines mais le principe reste le même : Martiella va à la fontaine et rencontre une vieille dame affamée. Pleine de compassion elle lui offre toute entière la galette qui devait lui servir de repas et reçoit comme don que des perles tombent de sa chevelure à chaque fois qu’elle se peignera. Sa tante, jalouse, envoie en vitesse sa propre fille, Puccia, à la fontaine sans lui expliquer la situation, et lorsque celle-ci entreprend de narguer la vieille femme en se délectant sous ses yeux de sa galette, sa punition est de laisser s’échapper des poux à chaque fois qu’elle se peignera.
On compte aussi comme variation Les enchantements de l’éloquence de Mademoiselle Lhéritier qui donne un nom à l’héroïne, Blanche, et à sa mauvaise sœur, Alix, toutes deux longuement caractérisées, ou Frau Holle des frères Grimm dont j’ai déjà un peu parlé, véritable emblème du genre : cette fois, la pauvresse laisse sa quenouille tomber dans un puits et est forcée par sa belle-mère d’aller la chercher. Sauf que dans le puits se trouve un passage vers un monde enchanté dirigée de main de fer par Frau Holle (Dame Hiver en version française alors que le mot Holle est plutôt à rapprocher de la traduction « enfer ») qu’elle va servir jusqu’à s’ennuyer de chez elle et y retourner (on dirait une sorte de résurrection), récompensée par une pluie d’or. Sa demi-sœur, appâtée par l’attrait du gain, va vouloir l’imiter mais, trop paresseuse pour travailler correctement, elle recevra une pluie de poix au lieu de l’or convoité, poix dont elle ne pourra jamais se séparer.
Les Deux filles, un conte gascon, développe encore d’avantage le principe de l’épreuve puisque cette fois-ci la fée vit dans un château et propose à ses visiteurs de choisir des cadeaux pour déterminer la pureté de leur âme : par exemple la paysanne qui prend une robe déchirée dans la penderie se voit forcée de garder la plus belle, et il se passe l’inverse avec la fille suivante.
Seuls les fans de Sound Horizon peuvent comprendre la double référence
Mais la version la plus fine du thème reste à mes yeux La veuve et ses deux filles de Madame Leprince de Beaumont parce que cette fois-ci Blanche et Vermeille, les deux sœurs, sont mises dès le départ sur un pied d’égalité ; il n’y a ni méchante, ni gentille et aucune n’est battue par sa mère. Seulement en recevant la visite d’une étrangère Blanche offre à manger à contrecœur, Vermeille sans compter, ce qui leur vaut une récompense très intéressante : la première deviendra reine, la seconde fermière. On peut se dire que la fée s’est trompée quelque part, que ce n’est pas logique, mais au final Blanche, devenue reine grâce à sa beauté, souffre énormément de son nouveau statut puisque le prince se lasse d’elle, prend des maitresses et que du coup plus personne ne la respecte ni ne fait attention à elle. Et quand elle retourne voir Vermeille, cette dernière devenue très heureuse l’invite à rester fermière auprès d’elle et à se contenter du nécessaire.
Pour une nouvelle morale
En conclusion de ce « petit » exposé, je dirais que le conte est un genre beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et qui mérite largement qu’on s’y intéresse de plus près. Le conte possède un pouvoir immense qu’il ne faut pas sous-estimer, il ne se démode jamais, il fait rêver. Il est donc dommage de faire disparaître ces siècles d’histoires dans l’oubli en abandonnant la version papier au profit d’adaptations modernes, certes de qualité, mais ne retranscrivant jamais tout à fait intégralement l’atmosphère d’origine. En voulant trop simplifier et arrondir les bords, Disney y va parfois un peu fort avec la scie-sauteuse et ce sont des morceaux importants, du moins à mon sens, qui tombent, donc autant d’éléments d’interprétation qui disparaissent. En d’autres termes, il est primordial de comparer les supports et ne pas se contenter d’une seule source. Je ne déteste pas Disney pour autant mais ma préférence va toujours aux originaux.
Pour l'Eroge Mix de février, j'ai choisi Sengoku Rance, un jeu relativement connu qui possède quelques pistes bien sympas, mélange de rock et de traditionnel (celles que je préfère).