15 décembre 2019 7 15 /12 /décembre /2019 14:00

Précedemment : Subarashiki Hibi – Red Pill Blues (3e partie)

J’aimerais m’arrêter sur un élément particulièrement controversé : le traitement du viol dans Subarashiki Hibi.

 

I. Les femmes

La sexualisation du viol par les eroges

De manière générale, c’est un thème qui a malheureusement tendance à être très mal présenté (voir le trope « Rape as Drama »). Une explication possible est que les victimes de viol sont très majoritairement des femmes et que ce sont trop souvent des hommes qui sont aux commandes des différents médias. On se retrouve donc régulièrement avec des représentations fantasmées, irréalistes ou carrément choquantes. Le viol est même devenu une forme de raccourci scénaristique pour représenter quelque chose d’horrible (qui va donc entraîner une réaction) mais en même temps suffisamment distant pour l’homme lambda pour qu’il ne se sente pas directement concerné. Les visual novel ne font pas exception à la règle.

Les eroges ont même un problème supplémentaire qui rend la représentation du viol encore plus difficile : ce sont des jeux pornographiques, leur intérêt principal est donc d’émoustiller le lecteur (majoritairement considéré comme masculin). Comment montrer quelque chose de grave et de sérieux tel que le viol dans un médium consacré à l’excitation sexuelle ? Eh bien, la plupart du temps les eroges ne font pas de différence. Une scène non consentante sera illustrée de la même manière qu’une scène consentante : le personnage féminin y est hypersexualisé, objectifié, et ses parties génitales sont exposées avec une hypertrophie de détails.

L'anime reproduit cette vision toxique de la sexualité pour une audience encore plus large ! 

La version 18+ de Grisaia no Meikyuu, par exemple, présente les différentes agressions sexuelles dont est victime le protagoniste principal, Yuuji, comme quelque chose d’excitant. Plus tard, Yuuji se retrouvera de l’autre côté de la barrière en couchant avec JB contre son gré et ce ne sera pas considéré comme un viol non plus. Toutes ces scènes sont d’ailleurs accessibles en replay dans la même section que les scènes consentantes. Inutile de dire que c’est un gros problème qui a déjà été soulevé ailleurs.

 

Tentative de rectification…mise à mal

Dans le cas de Subarashiki Hibi, SCA-JI a clairement conscience que ce type de représentation n’est absolument pas adapté ou approprié. S’il se lâche bel et bien sur les scènes imaginaires (probablement parce qu’elles ont peu de conséquences), il propose une solution louable en accordant à Zakuro une certaine pudeur durant son viol. Si l’illustration elle-même sexualise énormément le personnage, elle n’apparaît pas longtemps à l’écran et essentiellement de manière détournée. Le focus n’est jamais sur ses parties génitales ou ses cris ; elle est même muette, ce qui règle la question du son. L’intrigue s’attarde davantage sur les conséquences que sur l’acte en lui-même, ce qui va dans la bonne direction et permet d’éviter tout sensationnalisme. Subarashiki Hibi fait donc de véritables efforts qui mériteraient d’être félicités…s’ils n’étaient pas ruinés par l’enchaînement qui mène à la scène en question.

Histoire de fournir un peu de contexte : Avant le paroxysme que représente son viol, Zakuro est forcée d’exhiber ses parties génitales en public, de se masturber en public sous l’influence de la drogue, puis quasiment offerte au premier venu…qui a la délicatesse de refuser de la violer à la dernière minute (par peur de perdre son emploi, non par décence). Son calvaire est présenté en détails, de manière très graphique et pas du tout bienveillante. La scène du karaoké, par exemple, est parfaitement horrible et semble encourager le lecteur à rire de ses malheurs tant la situation est absurde (elle chante des génériques d’anime toute nue). A partir de là, la différence avec le viol est très mince. Pourquoi accorder de la pudeur à la pénétration mais pas aux agressions sexuelles qui ont précédées ? Cela va complètement à l’encontre du but recherché ! 

Et que dire de la scène de bestialité d’Ayumi (malheureusement réelle) rajoutée là uniquement pour choquer ? L’hypocrisie est totale si tous les personnages ne sont pas logés à la même enseigne.

 

Swan Song

La bonne volonté supposée du scénariste est d’autant plus mise à mal qu’il ne traite pas les répercussions du viol avec beaucoup plus de soin. A la suite des évènements de la branche principale de Looking-Glass Insects, Zakuro est psychologiquement détruite et sombre dans une spirale de dégoût d’elle-même qui est accentuée par des hallucinations (l’effet secondaire de la drogue qu’on lui a fait prendre). Dépressive, traumatisée, perdue, elle cherche désespérément à extraire du sens de sa situation.

C’est alors qu’elle rencontre Usami et Ayumi, deux filles de son âge qui avouent avoir également été victimes de violences sexuelles. Or ce qui apparaît comme une forme de groupe de soutien se révèle très vite être un groupe de suicide déguisé : Usami et Ayumi embrigadent Zakuro à croire des prophéties farfelues afin qu’elle les rejoigne dans leur quête. Toutes deux semblent sincèrement croire à leur propres mensonges et on comprend également bien vite qu’elles se persuadent d’être des magical girl parce qu’elles espèrent qu’un ancien rituel leur rendra un corps "pur", c’est-à-dire le corps qu’elles avaient avant leur viol respectif. Malheureusement pour elles, Zakuro croit un peu trop à ce mirage, occasionnant leur perte.

Les hallucinations de Zakuro sont terribles à lire

Subarashiki Hibi a ici recours à un poncif malheureusement trop commun aux eroges (je pense notamment à Swan Song) : la victime de viol qui se suicide pour retrouver sa dignité. Ce genre de rebondissement narratif semble relativement inoffensif en isolation mais devient extrêmement nocif au fur et à mesure qu’il est répété à travers différents médias. Pourquoi ? Parce qu’il introduit l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule bonne réaction après un événement traumatisant comme celui-là. Or il est bien évident qu’une victime peut avoir différentes manières de réagir (y compris la recherche de stimuli sexuels pour reprendre le contrôle de son corps) et qu’elles sont toutes valides. Une victime peut se reconstruire après un traumatisme et reprendre une vie normale, rien n’est immuable. 

Le fait que Zakuro, Usami et Ayumi croient toutes les trois être souillées à vie est particulièrement dérangeant parce qu’on dépasse de loin la simple coïncidence : il s’agit d’un motif. Quoi que l’auteur en pense, il n’y a rien de profond à laisser croire qu’un traumatisme est par essence impossible à surmonter…

 

II. Les hommes

Après les femmes, il y a un autre type de victime qui ne dispose d’aucune bienveillance non plus : les hommes. Grâce à sa grande diversité de scènes de viol, Subarashiki Hibi présente en effet une multitude de combinaisons (dont on se serait bien passé).

 

Réduit à un bout de viande

C’est ainsi que Kiyokawa, la professeure embrigadée, est sommée d’avoir une relation sexuelle avec son propre père afin de prouver son allégeance. J’avais déjà expliqué à quel point la séquence était superflue mais je ne m’étais pas arrêté dessus en détails. Sans surprise, bien que la relation ne soit absolument pas voulue et que le père soit inconscient une bonne partie du temps, la présentation ne fait aucune distinction. On se retrouve donc avec une scène d’eroge typique qui s’attarde longuement sur le corps sexualisé de la femme. 

La victime est réifiée, morcelée, invisibilisée. C'est bien simple, elle se fond avec la chaise !

Le père n’est même pas humanisé : il en est réduit à son phallus et, s’il n’était pas brièvement apparu dans l’illustration précédente, il aurait été impossible de savoir à quoi il ressemble. Enlevez le détail du crayon attaché à son pénis (que la coupable utilise comme tuteur) et il s’agit d’une scène pornographique comme une autre, voire une scène de masturbation en solo. Le texte n’est pas beaucoup plus tendre que les graphismes : l’enchaînement des actions confuses de Kiyokawa débouchant sur la fameuse évasion à vélo va tellement loin dans l’absurde que la scène semble tendre vers l’humour noir et se retrouve complètement vidée de sa gravité. En outre, parce qu’il s’agit d’un personnage secondaire, le lecteur ne verra jamais les conséquences du viol ou le point de vue de la victime et il est en conséquent facile d’oublier ce passage.

 

Dédramatisation du viol masculin

Le pire exemple de tout Subarashiki Hibi demeure le messie lui-même puisqu’il y a énormément à décrypter à partir de son viol. En premier lieu, le jeu trouve une excuse au comportement des agresseurs. Nishimura est présenté comme un adolescent aux hormones incontrôlables, frustré sexuellement, et se rabattant donc sur ce qu’il a sous la main. Pire, on nous montre plus tard que Takuji compatit à sa situation, étant lui-même puceau, ce qui est objectivement hideux : rien ne justifie une agression sexuelle !

De manière plus insidieuse, la scène de viol n’est pas là, comme avec Zakuro, pour nous inviter à compatir aux malheurs de Takuji, mais bien pour nous pousser à le trouver pitoyable. C’est pour cela que je parlais précédemment d’émasculation symbolique : l’auteur se sert uniquement du viol comme allégorie. L’idée sous-jacente est que Takuji le mérite parce qu’il n’est pas assez viril et qu’il n’y a rien de plus dégradant pour un homme que d’être traité comme une femme. Et c’est exactement ce que corrobore la présentation : cette fellation forcée est paradoxalement construite comme quasiment érotique. Le texte lui-même penche en faveur de la perspective de Takuji en mettant l’emphase sur son dégoût et la musique va également dans ce sens…mais les graphismes sont ceux d’un eroge traditionnel et le doublage est en totale contradiction avec ce qu’il se passe à l’écran.

Si le mot "viol" revient constamment dans la perspective de Zakuro, celle de Takuji n'avance que timidement celui d' "agression" pour décrire ce qui lui arrivé.

Dans l’ensemble, le mot de viol n’est même pas prononcé alors qu’il y a bien une pénétration obtenue sous la contrainte et It's my Own Invention minimise énormément cette séquence. Pour commencer, le flasback n’existe que pour nous introduire la personnalité de Tomosane (en complète opposition avec le manque de virilité présumé de Takuji) et ne sera donc jamais mentionné autrement. Plus perturbant encore, Takuji ne semble avoir reçu aucune séquelle psychologique de ce qui est pourtant un événement traumatique et il va même jusqu’à prétendre qu’il préfère ce genre de cruauté aux coups de poing de son rival.

 

Juste pour rire

Faisons un dernier pas en arrière pour traiter, non pas du viol directement, mais de la menace de viol à l’égard des personnages masculins. J’avais déjà abordé l’homophobie de Tomosane dans Jabberwocky I aussi je ne m’arrêterai pas dessus une seconde fois mais il est important de noter qu’il s’agit d’un climat global qui imprègne tout le chapitre.

Les clients du bar gay où Tomosane travaille sont écrits sur le même modèle que le maître en arts martiaux : ce sont tous des prédateurs sexuels en puissance qui ne manquent pas une occasion pour essayer de l’agresser…et tout ceci est présenté de manière humoristique. J’ai ainsi en mémoire la scène d’anniversaire du maître où celui-ci contraint par la force son protégé à revêtir une robe et des sous-vêtements féminins, ce qui est très clairement une agression sexuelle sur mineur commise par une personne détentrice d’autorité !

L’insinuation est qu’un homme sexuellement harcelé par un autre homme est perçu comme gay et qu’être perçu comme gay est censé être profondément humiliant pour un hétérosexuel. Je vous invite à regarder cette vidéo qui traite justement des violences exercées sur les hommes comme source de comédie pour comprendre en quoi c’est un problème particulièrement vicieux.

Le traitement des personnages queer dans la pop culture japonaise est malheureusement toujours aussi problématique de nos jours, comme l’atteste le récent Persona 5 qui fait exactement la même chose. De ce point de vue, Subarashiki Hibi ne fait que renforcer des croyances régressives autour de la masculinité et participe à la diabolisation des homosexuels. 

 

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