Je sais que ça risque de paraître ironique d’évoquer un anime dont je suis lassée d’entendre parler depuis des mois au moment même où je pourrais enfin être tranquille mais techniquement je compte surtout faire quelques réflexions en filigrane d’un autre anime que j’apprécie bien plus : Le portrait de petit Cossette (ou petite Cosette vu que je suis française et que le « franponais » me pique un peu les yeux), une courte série d’OAVs sortis en 2004.
Kurahashi Eiri est un jeune artiste qui travaille dans le magasin d’antiquités de son oncle sur son temps libre. Il passe son temps à dessiner et à rêver mais ces derniers temps il semble encore plus dans la lune que d’habitude, il se fait distant, voit de moins en moins ses amis qui s’inquiètent de sa santé. Pour eux il n’y a qu’une explication à cette soudaine mélancolie : Eiri est amoureux. Pourtant le concerné évite le sujet et reste étonnamment vague tant et si bien que tous se demandent qui est cette fille mystérieuse qui lui fait perdre la tête et si elle existe vraiment. Oui, Eiri est amoureux mais il ne peut pas le dire puisque l’élue de son cœur n’est autre que le spectre d’une jeune femme qui vit dans un verre vénitien. Cette dernière, du nom de Cosette, l’intrigue au plus haut point. Quelle est son histoire ? Et pourquoi a-t-elle des yeux si tristes ?
Un parallèle pas tout à fait incongru
Si j’évoque Cosette et Madoka ensemble c’est qu’il y a une bonne raison. Comme beaucoup de personnes j’ai suivi cette année la série magical girl mais je dois avouer que mes impressions sont assez différentes des éloges incessantes que j’entends sur l’anime car depuis le début Mahou Shoujo Madoka Magica ne m’a jamais surprise. Je ne savais pas que Gen Urobuchi, créateur de Saya no Uta, était au scénario et le chara-design mignon ne me dupait pas non plus. Depuis le début j’étais persuadée d’avoir à faire à un anime qui présenterait le genre magical girl sous un jour un peu plus original que d’habitude sans toutefois pousser au chef-d’œuvre. Le 3e épisode, qui a choqué tant d’autres, m’a juste conforté dans mes convictions. Aussi n’ai-je jamais vraiment été d’un enthousiasme débordant à ce sujet. Pour moi ce n’était qu’un anime sympathique avec des éléments de scénarios intéressants. Avec le recul je me suis rendue compte que mes attentes de base étaient complètement étranges. Comment aurais-je pu savoir exactement en quoi consistait Madoka alors même que l’équipe de Shaft faisait tout pour ménager la surprise ? En fouillant un peu dans mon inconscient je crois que je tiens la réponse et la réponse la voilà : Le portait de petite Cosette.
En effet Madoka est la seconde collaboration de ma compositrice fétiche, Yuki Kajiura, avec Ayuki Shinbo et le parallèle n’est pas innocent : les deux animes possèdent une ambiance sombre, des partis-pris graphiques parfois surprenants et cette origine musicale commune. Madoka fait même clairement référence à Cosette puisque la maison d’Akemi Homura est une réplique de la boutique d’antiquités d’Eiri. Il y a aussi une odeur de subversion dans l’air (subversion d’une histoire d’amour / subversion des magical girls) mais la différence majeure qui sépare ces séries « sœurs » tient surtout à leur accessibilité. Madoka se voulait être dès le départ choquante et simple à suivre pour frapper un large public. Preuve en est que désormais bon nombre de ses fans considèrent que toute déconstruction un peu gore et audacieuse « a un air de Madoka », n’en ayant probablement pas expérimenté beaucoup d’autres avant (ce qui est profondément dommage). En gros le but de Shinbo était de toucher la masse, alors que c’est radicalement l’inverse avec un anime aussi complexe que Cosette que seule une poignée de gens pourront véritablement apprécier. On peut donc voir une certaine progression dans ses travaux, notamment avec un autre outil de compréhension que j’utiliserai plus tard (et plus modérément, n’ayant vu que le 1e épisode), qui est The Soul Taker. Avec ces considérations en tête il est temps de revenir à ce qui nous intéresse vraiment, c’est-à-dire Le portrait de petite Cosette.
Star-crossed lovers
Cette série assez particulière nous dépeint donc la descente aux enfers de ce brave Eiri (doublé par Saiga Mitsuki, qui est connue pour ses nombreux rôles masculins comme Rossiu dans Gurren Lagann) qui plonge lentement mais sûrement dans la folie et l’hallucination à cause de son amour pour Cosette d’Auvergne (c’était le premier rôle de Marina Inoue si je ne m’abuse). Les autres personnages ont relativement peu d’importance, toute l’intrigue est véritablement concentrée entre eux. Eiri est un type tout ce qu’il y a de normal, excepté son talent d’artiste, et on s’identifie pas mal à lui en ce qu’il est vite complètement dépassé par ce qui lui arrive. Ce fantôme d’une beauté éblouissante, avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, le hante en permanence et il ne sait au fond plus s’il a vraiment envie de s’en défaire. Tantôt il est heureux de dessiner sa muse, tantôt le voilà forcé de boire un verre rempli de sang ou enchaîné dans un paysage absurde et repoussant dans une sorte de séance d’exorcisme macabre lors de laquelle il se fait arracher les tripes. Eiri ne comprend plus rien, il souffre, il a mal, mais il ne peut pas s’empêcher de songer à la jolie Cosette toujours vêtue en gothic lolita, toujours si triste. Et cet amour l’entraîne aux confins de la mort. Il subit pourtant ces scènes extrêmement douloureuses et accepte ce sort juste pour pouvoir s’approcher davantage de sa bien-aimée. Oui il est complètement fou mais je crois que tous ceux qui ont été amoureux un jour doivent reconnaître dans cet aveuglement quelque chose de familier.
Or ce que la voix de Cosette nous indique dès le début c’est que leur histoire est bien entendu impossible. Elle est morte depuis des siècles, enfermée pour l’éternité dans les objets qui ont assistés à son trépas et ne peut retourner à la vie qu’avec le sacrifice de celui qui l’aimerait suffisamment pour consentir à cet effroyable marché. Mais si elle ressuscite, elle se retrouvera seule à pleurer la mort de cette personne puisqu’il ne sera plus. Autrement dit tout l’anime se concentre sur ce combat à la fois intérieur et extérieur de ce drôle de couple pour rendre leur amour possible malgré tout. Si Cosette a au début surtout l’air de considérer Eiri comme un simple outil, très vite leurs relations se complexifient, car comment rester insensible à la vue d’un homme qui accepte une souffrance intolérable juste pour vos beaux yeux ?
Bienvenue en enfer
Ce qui marque le plus dans le visionnage de cette série c’est l’ambiance qui s’en dégage et l’alliance graphique et sonore effectuée. Je suppose que je n’ai pas besoin de louer le travail de Yuki Kajiura une fois de plus mais je vais le faire quand même. L’OST est majoritairement orienté autour d’un mélange violon/piano du plus bel effet. S’il y a bien entendu quelques thèmes mélancoliques et tristes (comme Somwehere I belong), l’essentiel reste tout de même tourné vers l’idée de violence, d’angoisse et d’étrange (comme Love Pain). Et justement Shinbo a choisi de faire du Portrait de petite Cosette une expérience essentiellement dénuée de mots. Je ne sais vraiment pas comment je pourrais vous décrire ça. L’ambiance visuelle comporte une très large imagerie à base de sang, de chaînes, de croix, de squelettes, de vieux objets, de pleine lune, d'yeux, de lumière vacillante et d’ombres. On bascule souvent dans le fantastique pur sans savoir quelle est l’hallucination et quelle est la réalité (mais pas du tout à la manière d’un Perfect Blue) et surtout on en prend pleins les yeux en permanence, c’est beau et déconcertant à la fois. Beaucoup de scènes sont là pour renforcer cette « imagerie », comme lorsqu’Eiri peint un tableau avec son propre sang (c’est purement épique et totalement impossible à la fois), quand il dessine Cosette en haut d’une tour qui a sa forme et éclairée par des centaines de chandelles partout et dont l’intérieur semble emprunté au corps humain, ou même quand Cosette se jette dans le vide et que le ciel est rouge. C’est réellement spécial alors ça plus la musique, il y a de quoi être assez confus.
Par rapport aux différents travaux de Shinbo je crois qu’à mes yeux Cosette représente une sorte d’équilibre. The Soul Taker possédait un premier épisode totalement « invisionnable » justement à cause de la confusion graphique : on ne sait plus très bien ce qui se passe ni ce que l’on regarde. Madoka s’oriente vers un autre style où les ajouts graphiques ne font finalement plus partie que d’un décor sans cesse enrichi. Cosette possède quelques plans qui font penser à Madoka, essentiellement dans l’opening, et d’autres à The Soul Taker dans l’utilisation des vitraux et la transformation du héros (les deux se ressemblent beaucoup d’ailleurs), mais penche plus du côté de ce dernier. C’est difficile d’entrer dans cet univers mais en même temps il comporte tellement plus d’éléments intéressants que dans les séries récentes de Shinbo. Analyser de fond en comble Le Portrait de petite Cosette est juste impossible tant il y a de symboles un peu partout, certains plus importants que d’autres bien sûr.
Cosette et son portrait
Le scénario en lui-même possède deux aspects : le premier est l’histoire d’amour impossible qui vire au cauchemar le plus total, à mi-chemin entre l’obsession et la folie, mais il y en a un second légèrement effleuré dans le deuxième OAV et plus largement exploité dans le troisième qui est la question de l’art. Et là je suis obligée de spoiler pour vous parler du cœur de ce qui rend Le Portrait de petite Cosette intéressant.
\!/ Attention, spoilers \!/
Il convient de se pencher sur la véritable signification du titre de l’anime. Pas tant sur le fait que ce soit en français (Cosette d’Auvergne est censée être née en France dans le XVIIIe siècle) que sur la référence qu’il comporte. Quand je lis « le portrait de », je pense immédiatement au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde qui comporte certaines similitudes. Là aussi le héros est en quelques sortes maudit par sa propre beauté, comme Cosette, et finit par faire une sorte de pacte involontaire avec le « diable », comme Eiri. L’argument principal de Dorian Gray qui le conduit à effectuer cet acte lourd de conséquence est sa soudaine prise de conscience que son portrait resterait éternellement jeune là où lui vieillirait. Il désire alors inverser les choses. Il en va de même pour Cosette qui est à l’aube de la puberté : elle est incroyablement belle et obsède son fiancé, le peintre Marcello (doublé par Ebara Masashi aka Friday Monday dans Madlax, ce qui veut tout dire), à tel point qu’il produit un nombre incalculable de tableaux à son effigie. Mais voilà Cosette va grandir, elle va devenir une femme et perdre cette moue innocente (de son vivant Cosette croyait que le monde était fait de bonheur et de sucreries), et cela lui est intolérable. Aussi décide-t-il de stopper son temps…et donc de l’assassiner !
Un peu plus tard Cosette, réalisant la cruauté de ses actes, décide de laisser Eiri vivre et de dormir pour l’éternité dans sa prison. Or elle ne l’avertit pas de cette décision soudaine, ce qui laisse l’occasion à un imposteur, et pas des moindres, de prendre sa place auprès de lui : son portrait. Car oui, l’intrigue déjà inutilement compliquée s’épaissit encore avec la présence de deux Cosette (heureusement la fausse garde toujours les mêmes vêtements donc on peut l’identifier…véritablement ?) et c’est là que ça devient réellement pertinent. Car le portrait de Cosette représente l’idéal de Marcello qui est la perfection, la beauté éternelle, là où son modèle est imparfait puisque la jeune fille désire vivre, vieillir et mourir. On assiste là à une sorte de duel entre 2D et 3D (si je puis m’exprimer ainsi), entre la perfection inaccessible et la réalité, l’immortalité et l’éphémère.
Certains détails aiguillent d’ailleurs le spectateur vers cette révélation de l’existence d’une fausse Cosette lorsque cette dernière monte les marches de la tour avec un chandelier à la main (alors que depuis le début elle ne tenait qu’une seule bougie) le tout sur fond d'une musique nommée Fake Jewel. Un bref instant nous dévoile soudain une des trois branches étrangement éloignée des deux autres avant que l’illusion ne reprenne droit, comme pour signaler dès le départ qu’il y a trois personnages en jeu. Et les dernières paroles d’Eiri seront justement que « tout doit redevenir un » (repasser du chandelier à la bougie originelle) lorsqu’il brise l’illusion en opposant à l’idéal de perfection de Marcello son propre idéal de l’art qui est d’élever l’humanité. Contrairement à son prédécesseur il est prêt à se sacrifier pour l’art (représenté par Cosette) et non à sacrifier l’art pour ses propres fins et préfère la véritable demoiselle dans ce qu’elle avait de fugitif et d’éphémère au portrait froid et figé.
On peut donc se demander à travers cette série de réflexions quel est le but de l’art, quelle serait sa définition et s’il faut lui sacrifier la réalité. En ce sens, la fin un peu cryptique de l’anime prend soudain sens : Eiri abandonne Cosette à son sommeil et retourne (on le suppose d’après le rêve de son amie Shouko) à la réalité pour dessiner plus. Or les dernières secondes de l’OAV nous montre Cosette ouvrir soudain les yeux. C’est un peu comme si l’idéal qu’elle représentait ne pouvait tout à fait quitter l’art que revendique Eiri. Cosette comme parabole de l'artiste possédé par son propre génie ?
\ !/ Fin spoilers \ !/
Design du manga
En conclusion, le Portrait de petite Cosette est une œuvre assez inhabituelle dans le paysage japonais en ce qu’elle se rapproche plus d’un roman anglais à la Oscar Wilde (dont elle serait inspirée ?) qu’à un anime traditionnel. Malgré une intrigue difficile à suivre (le pourquoi du comment des objets antiques tueurs est davantage abordé dans le manga, ce qui est un chouilla dommage) et sinueuse, on y retrouve une ambiance psychédélique et envoûtante que les aficionados apprécieront et les graphismes très expérimentaux servent bien le propos qui est une mise en question de l’art. Pour les autres ce voyage au pays de la folie risque d’être plus difficile à apprécier et donc bien moins accessible que Madoka Magica. Je ne suis pourtant pas sûre que la direction que suit actuellement Shinbo soit la meilleure possible et finalement je crois qu’on est en train de perdre au change…