N’avez-vous jamais souhaité être quelqu’un d’autre ? Ouvrir les yeux et atterrir dans un autre monde ? Fuir la monotonie du quotidien et s’embarquer dans de grandes aventures ? Cette vie extraordinaire, tout le monde en rêve, Please save my earth (ou Boku no Chikyuu wo Mamotte en version originale) ne fait que le concrétiser de manière à la fois cohérente et touchante.
Le récit tel qu'on le décrit ouvent ça et là, notamment sur Internet ou via les trailers, n’est pas très clair, il parait même un peu confus, un peu loufoque. Pourtant lorsque j’ai entamé le premier OAV de l’adaptation télévisée, je me suis retrouvée complètement captivée par cette histoire hors normes et envoûtante.
Sakaguchi Alice est une jeune lycéenne qui vient juste d’arriver à Tokyo avec sa famille. Elle pourrait être une adolescente banale si elle n’avait ce drôle de pouvoir d’empathie qui lui permettait de percevoir les sentiments des animaux et des végétaux. Les arbres sont ses plus fidèles alliés et les fleurs ses confidentes. Alice est un peu dans la lune, un peu dans son monde, mais c’est une gentille fille très sensible –trop sensible. Alors elle supporte très mal les brimades de son voisin de pallier, Kobayashi Rin, un petit garçon d’à peine huit ans qui prend beaucoup de plaisir à lui jouer tous les mauvais tours possibles.
Malheureusement pour elle, Alice se retrouve un jour obligée de le garder en l’absence de ses parents et pour l’occuper va au zoo. Là-bas elle croise un de ses camarades de classe, Ogura Jinpachi qu’elle a surpris un peu plus tôt dans une situation embarrassante. Ce dernier voulant absolument clarifier le quiproquo l’invite alors à boire un café en compagnie de son meilleur ami Nishikiori Issei. Les deux garçons avouent alors leur secret : depuis quelques temps ils ont commencés à faire des songes étranges, les mêmes, dans lesquels ils incarnent des personnes différentes. Tous ces rêves se déroulent dans un observatoire situé sur la lune. Il y a sept scientifiques, des extraterrestres, qui observent la Terre avec bienveillance. Et presque à chaque nuit Jinpachi et Issei se rencontrent par le biais de leurs alter-egos respectifs, Gyokuran et Enju – un homme et une femme !
Notre trio de base
Alice est fascinée par cette expérience hors du commun et demande à en savoir plus sur ces gens qui vivent sur la lune, mais Rin, visiblement très irrité d’être complètement ignoré, commence à agir de plus en plus bizarrement. Une fois à la maison, un incident se produit et Rin tombe du haut du balcon de l’immeuble d’une dizaine d’étages et ce, sous les yeux d’Alice. Personne ne le sait encore mais les choses ne seront plus jamais les mêmes…
L'équipe de scientifiques
La grande force de Please save my earth réside là, dans cette dualité. On le comprend très tôt, les rêves de Jinpachi et Issei sont en réalité des bribes de leur vie antérieure. Pour rassembler les pièces du puzzle et comprendre totalement ce qui s’est passé dans cet observatoire lunaire, ils se mettent en tête de retrouver les autres réincarnations et, ce qui est passionnant, c’est que les relations de leurs vies antérieures influent sur leurs vies présentes. Il y a donc un jeu de correspondance entre deux histoires au premier abord distinctes mais étroitement liées.
Sur la lune il y a ces sept scientifiques extraterrestres : Hiiragi, le leader, Mokuren, une femme d’une grande beauté dont tout l’équipage masculin était tombé amoureux, Shion le ténébreux au passé trouble, Gyokouran son rival, Shukaido le discret physicien, Enju, une anthropologiste aimant Gyoukouran sans espoir et Shusuran, sa meilleure amie au fort caractère.
Petit schéma trouvé sur le web pour s'y retrouver un peu dans le cast "lunaire" et le cast "contemporain"
Comme je le disais donc, les deux histoires entretiennent des rapports l’une avec l’autre. Ainsi Alice, que l’on croit très vite être Mokuren, devient la source de toutes les attentions, Issei se retrouve déchiré par l’amour d’Enju qu’il ressent pour son meilleur ami, Jinpachi, lui-même attiré par Alice qui est beaucoup plus préoccupée par le sort du petit Rin que de son prétendant. La curiosité aidant, on essaye de deviner qui est qui et de démasquer les Rêveurs de la lune, mais ce n’est que la première étape d’un long voyage.
En effet, une fois Hiiragi et Shusuran ajoutés au petit groupe, les adolescents vont se réunir lors de meetings pour discuter entre eux de ce qu’ils ont vus, comment ils ont été amenés à l’Eveil (de leur passé), ce qu’ils doivent faire de ces révélations, et surtout comment vivre avec cette mémoire très lourde à porter. Ainsi Dobayashi Daisuke et Kokushou Sakura, qui possèdent probablement les passés les moins traumatisants et qui font ces rêves depuis très longtemps ont complètement absorbés cette seconde vie sans se poser de questions et n’hésitent pas à appeler leurs nouveaux amis par leurs noms lunaires, ce qui est légèrement dérangeant rien que pour le lecteur. La peur de la négation de leurs identités présentes s’impose alors. Jinpachi, encore l’un des plus chanceux, préfère regarder le futur et considérer son ancienne vie comme terminée, là où Issei, malgré toute sa volonté, doit se battre en permanence contre lui-même, contre cet amour trop pesant. De son côté Alice bloque et retarde le plus possible le moment de son Eveil parce qu’elle a l’intime conviction qu’au moment où elle se rappellera, elle ne sera plus elle-même mais Moguren. Elle est heureuse et craint cette mémoire étrangère, probablement douloureuse. Les réincarnations de Shukaido et Shion héritent quant à eux d’expériences tout aussi traumatisantes : le premier se retrouve à devoir porter la culpabilité d’un crime qu’il a commis dans sa vie antérieure à l’encontre de son ami et souffre de cette erreur dont sa personnalité présente n’y est au fond pour rien. Ce secret que les deux hommes seuls partagent est à la source d’une incroyable douleur, notamment pour le petit Rin qui, à la suite de son accident, sort du coma en ayant vécu d’une traite la mémoire d’un de Rêveurs de la lune, ce qui affecte gravement sa personnalité, d’autant plus que, puisqu’il est encore trop jeune, il n’a pas encore eu le temps de se forger, d’acquérir suffisamment de force pour lutter. Il ne peut qu’être écrasé par cette expérience terrible et avoir acquis les traumatismes d’un homme d’âge mûr aussi brusquement lui ôte toute l’innocence qu’il était censé avoir.
Please save my earth traite d’un sujet qu’on voit finalement assez peu et qui est pourtant très intéressant qui est celui de la mutation de la mémoire. Car, c’est bel et bien le souvenir qui crée ce que nous sommes. C’est par ce que nous avons fais, ce que nous avons vu et vécus que nous nous construisons. Alors que se passerait-il si jamais on nous injectait la mémoire d’un autre ? Serions-nous toujours nous-mêmes ? Ou serions-nous cet autre ? Voilà des questions que je me suis souvent posé. L’auteur du manga, Hiwatari Saki, s’oriente plutôt du côté de l’optimisme en confrontant ses personnages non pas à une fatalité absolue mais à une évolution dont ils ont la possibilité. Les Rêveurs de la lune peuvent faire comme Daisuke et Sakura et se mélanger totalement à leur alter-ego, nier complètement et privilégier le présent comme Alice, ou osciller entre l’un et l’autre en se débattant contre ces démons séduisants mais dangereux. Séduisants car, comme le ressent le trio de base au début de l’histoire, revoir en rêve sa vie antérieure a quelque chose d’excitant, comme une aventure. Mais sous l’aspect brillant se dissimulent bon nombre de moments dramatiques. Daisuke et Sakura nous l’apprennent, les périples sur la lune se sont mal finis, et certains souvenirs devraient rester enfouis dans l’oubli sous peine de raviver des blessures cette fois bien réelles. L’idylle qu’Alice voit en rêve entre Mokuren et Shion étant un bon exemple de la fausseté des apparences puisque c’est un couple constitué de manière paradoxale, notamment parce que chacun est persuadé que l’autre le déteste.
Apparences d’autant plus trompeuses que la réincarnation n’est pas forcément le portrait craché de son ancien « moi ». La belle Enju est par exemple impossible à distinguer derrière les traits d’Issei, bien que celui-ci possède un petit côté efféminé. Celle qui lui ressemble le plus, Sakura, a probablement hérité de son visage par souhait, puisque Shusuran enviait beaucoup son amie pour ses longs cheveux et sa douceur. De même Alice n’a physiquement rien de commun avec Mokuren qui, on l’apprend dans le manga, voulait justement devenir une fille comme les autres et se débarrasser de cette beauté empoisonnée. Et Alice ressemble beaucoup à sa mère…Il en est de même pour Shukaido et Shion qui jouent clairement sur l’ambiguïté de leurs apparences respectives.
Please save my earth débute comme une fable onirique et saisissante qui ne laisse pas indifférent, cependant il possède aussi quelques moments comiques et des scènes d’action qui viennent rompre un peu le flot de larmes. L’intrigue reste toutefois vraiment centrée sur la peinture des émotions, de relations torturées et sur la nostalgie. Nostalgie est vraiment le mot d’ordre de cette série, je crois. On ne peut pas s’empêcher de ressentir une sorte de pincement au cœur devant certaines scènes, comme si l’anime avait heurté une corde sensible dont on ignorait l’existence. Un petit rien et soudain on pleure, sans trop savoir pourquoi, comme si un souvenir enterré profondément au fond de nous tentait soudain de se réveiller – en vain.
L’ending représente d’ailleurs très bien cette sensation à la fois confuse et violente. Composé par Yoko Kanno, il dure presque trois minutes, ce qui est assez inhabituel pour un générique de fin. La piste est lente, portée par la voix planante et déchirante de Seika. On y entend des échos résonner au loin. Puis entre quelques notes de piano très discrètes. Puis enfin un violon dans un passage instrumentale à faire pleurer les pierres. Des images décolorées, comme des photos vieillies par le temps, accompagnent cette ballade langoureuse dans un rythme lent et contemplatif. Jamais je n’ai rencontré de chanson aussi porteuse de nostalgie. Vraiment magnifique.
Les 6 OAVS qui forment l’adaptation de Please save my earth sont à cet égard sublimes puisqu’ils transcrivent très fidèlement les émotions du manga en y insufflant du dynamisme, des images oniriques et une très belle bande-son signée Hajime Mizoguchi. Ce pourrait être un des meilleurs animes de tous les temps s’il ne s’arrêtait pas en plein milieu du récit en concluant l’histoire n’importe comment. Jusqu’au 5e épisode, tout va bien, on est pris dans l’aventure, et puis soudain, paf, flasback sur l’enfance de Shion. Et puis les scénaristes claquent du doigt et hop, c’est fini, sans explication, aucune. Au début je me disais, que le manga n’avait peut-être pas fini sa publication or justement, le dernier tome de Please save my earth est sorti en 1994, date à laquelle on estime les derniers OAVs et en plus les dernières secondes mettent bel et bien en scène des évènements que l’on ne lit que dans les derniers chapitres ! Ce qui signifie qu’on aurait très bien pu avoir une suite à ce stade là de l’histoire. Mais non, visiblement finir ce qui avait été commencé demandait trop d’efforts et on se retrouve avec un produit bâtard et terriblement frustrant. Du pur gâchis. Je recommande tout de même le visionnage de l’anime à tout amateur de poésie comme introduction au manga.
Le manga, parlons-en puisque je l’ai aussi fini, a l’avantage de mettre enfin un point final à un récit cette fois-ci développé jusqu’au bout. L’histoire est toujours aussi fascinante, aussi nostalgique, mais il y a un gros point noir : le graphisme. Les premiers tomes sont hideux. Il serait donc plutôt approprié de commencer par les OAVs et d’attaquer directement là où reprend le récit, c'est-à-dire vers la moitié du manga, pour ne pas trop saigner des yeux. J’ai trouvé une petite comparaison sur TvTropes et effectivement, la différence saute aux yeux. C’est d’ailleurs bien dommage que les graphismes soient aussi « basiques » parce que le scénario rattrape volontiers tout cela avec des thèmes aussi forts que bien développés : la réincarnation donc, l’héritage de la mémoire, la construction de l’identité, mais aussi la discrimination via l’héritage Kiches de Mokuren, la complexité de l’amour, la solitude.
A mes yeux Please save my earth fait vraiment figure d’OVNI, d’incontournable dans le domaine du shoujo grâce à son histoire originale et bien menée et à une agréable galerie de personnages, tous ne sont certes pas développés de la même manière (certains passent clairement au second plan) mais globalement les acteurs principaux sont attachants – je pense notamment à Tamura et Mikuro, les outsiders badass, à Haruiko, à Issei et à Rin (les alter egos lunaires sont malheureusement très peu montrés dans l’anime par rapport au manga, ce qui excite encore davantage la curiosité). Seule exception à la règle : l’héroïne un peu pleurnicharde qui est finalement presque moins intéressante que les autres.
A noter qu’est sorti, bien des années plus tard, Please Save My Earth: The Passing of the Golden Age, une série de petits clips qui rajoutent quelques fragments à l’histoire brusquement interrompue de l’anime. La première vidéo, Prologue - Kin-iro no Toki, Nagarete, chanté par Akino Arai, nous plonge dans le passé de Mokuren auquel fait écho Ring, interprété par Gabriela Robin qui présente la fin de l’histoire et le désespoir de Shion. Il y a aussi Moon Light Anthem (une valse, toujours avec Akino Arai) qui se concentre enfin sur l’amour impossible d’Enju. Les musiques sont absolument superbes mais il y a de gros risques de spoil donc courez voir au moins l’anime avant de tester ces chouettes petits clips (les autres ont moins d’intérêt, ce sont plus des redites).
En conclusion (déjà ?), rien que pour cette atmosphère si particulière, amère et nostalgique, cette histoire terriblement attrayante et onirique et ces « héros » tragiques aux sentiments complexes, vous devez vous laisser porter par Please save my earth.
Oh et sinon, l’anniversaire du blog se déroulant cette semaine j’ai arbitrairement décidé de le fêter dimanche avec l’article qui va bien avec. Et je vais parler de vous-savez-quoi (non pas de toi Voldemort, désolé mon chou). Et je risque d’avoir besoin de toute votre attention, accessoirement. Donc ce serait cool de venir jeter un coup d’œil par ici. Non mais je dis ça comme ça, hein, c’est pas comme si j’avais actuellement un détonateur dans la main et que je pouvais d’une seule pression faire exploser votre famille et vos amis si jamais vous veniez à manquer à l’appel, fufufu…
…en fait j’ai pas posé une ou deux bombes, j’en ai posé cent. Juste pour dire .