
Subarashiki Hibi ~ Furenzoku Sonsai, ou Wonderful Everyday ~ Diskontinuierliches Dasein, est un visual novel développé par KeroQ en 2010, puis traduit en anglais et publié sur Steam en août 2017 par Frontwing. On y incarne Minakami Yuki, une lycéenne rebelle, qui mène une existence tranquille et confortable en compagnie de ses amies d’enfance, les jumelles Kagami et Tsukasa. Du moins jusqu’à ce que, un été, elle croise la route de Takashima Zakuro, une jeune fille mystérieuse. Un choix crucial se présente vite : va-t-elle préférer continuer à vivre dans l’ignorance ou choisira-t-elle de suivre Zakuro dans le terrier du lapin, à la poursuite d’une réalité qui la dépasse ?
La version Steam s’arrête en fait au prologue du jeu. Pour accéder à la suite, il faudra installer un patch disponible sur le site de l’éditeur et ainsi accéder au contenu complet (et non-censuré). C’est là que débute le véritable premier chapitre : On y incarne Minakami Yuki, une lycéenne rebelle, qui mène une existence tranquille et confortable en compagnie de ses amies d’enfance, les jumelles Kagami et Tsukasa. Du moins jusqu’à ce que, un été, elle croise la route de Takashima Zakuro, une jeune fille mystérieuse qui semble la connaitre mais dont elle ne se souvient pas. Le lendemain, elle apprend que cette dernière s’est suicidée. La véritable histoire peut commencer.
Avertissement : Dans la mesure où cette critique spoile largement l’oeuvre, je vais aborder à peu près tous les sujets sensibles possibles et imaginables. Si vous êtes personnellement touché, cela peut s’avérer *très* déprimant. Toutes mes excuses.
Introduction
Subarashiki Hibi est un visual novel assez massif d’une bonne cinquantaine d’heures qui se compose de sept chapitres, chacun de longueur variable, décrivant les événements se déroulant en juillet 2012 au lycée fictionnel de Kita High selon la perspective de plusieurs personnages.

Minakami Yuki est l’héroïne de Down the Rabbit-Hole I et II. C’est une élève rebelle qui sèche souvent les cours pour fumer et lire de gros ouvrages compliqués au calme. Elle est doublée par Mizusawa Kei (sous le pseudonyme Rino Kawashima) : Mibu Tsubaki dans la trilogie Tokeijikake no Ley Line, Asako dans Grisaia no Meikyuu, Goemon dans Eiyuu Senki.


Elle est suivie partout par les jumelles Wakatsuki : Kagami et Tsukasa. La première est une parfaite tsundere tandis que la seconde est une tête en l’air maladroite. Kagami est doublée par Ogura Yui (Inaba Yui dans Flyable Heart, Himiko dans Eiyuu Senki, Maple dans Nekopara, Fuhito dans la trilogie Tokeijikake no Ley Line) et Tsukasa par Yoshida Airi, sous le pseudonyme de Kisaragi Aoi.

Mamiya Takuji est le protagoniste de It's my Own Invention, le plus long chapitre du jeu. Au premier abord, il s’agit d’un otaku réservé prompt à se cacher mais derrière cette carapace asociale se cache bien d’autres choses beaucoup plus sombres. Il est doublé par Matsumoto Megumi (sous le pseudonyme de Sayama Shin) : Mira dans Sumaga, Nao dans Dramatical Murder, Natsume Kei dans Sakura no Uta.

La craintive et rêveuse Takashima Zakuro a également le droit à sa propre perspective avec Looking-Glass Insects. Elle est doublée par Suzumiya Sui : Shirokuma dans Hatsuyuki Sakura, Momoka dans la trilogie Tokeijikake no Ley Line.

Elle considère sa camarade de classe Tachibana Kimika comme étant sa seule véritable amie mais les deux jeunes filles ont une relation plutôt ambiguë. Il faut dire que Kimaka a un tempérament assez étrange et qu’on ne sait jamais ce qu’elle a derrière la tête. Elle est doublée par Hitomi (sous le pseudonyme Hokuto Minami) : Primula dans Shuffle, Gawain et Sun Tzu dans Eiyuu Senki, Yuuki dans Killer Queen.

Yuuki Tomosane est le héros des chapitres Jabberwocky I et II. Il s’agit d’un délinquant redouté, particulièrement par Takuji, et du combattant le plus féroce de toute l’école. Il n’est pas doublé.

Mamiya Hasaki est la petite sœur timide de Takuji qui se promène partout avec sa peluche préférée. Sa perspective, Which Dreamed It, est probablement la plus fiable de toutes. Elle est doublée par Wada Kayo (sous le pseudonyme Nishida Komugi) dont c’était le dernier rôle avant de se retirer de l’industrie.

Tous les différents narrateurs finiront par croiser Otonashi Ayana, une jeune fille mystérieuse qui ne parle que sous forme d’énigmes et semble tout savoir des curieux événements qui secouent la ville. Elle est doublée par Naruse Mia : Rouge13 dans Alice Parade, Lily dans Corona Blossom, Azuki dans Nekopara.
I. Au fond du terrier
Le retour du Denpa
Je pense qu’il est inutile de le préciser mais Subarashiki Hibi démarre sur les chapeaux de roues ! Down the Rabbit-Hole I est un prologue on ne peut plus énigmatique qui se présente comme du tranche de vie yuri assez classique mais ne cesse de jouer avec le quatrième mur et d’inciter le lecteur à voir plus loin en insérant des éléments déroutants. Curieusement, il ne s’insère pas dans la chronologie principale directement mais propose une sorte de réalité parallèle qui lui est thématiquement liée et comporte des informations importantes pour comprendre certaines des révélations futures (notamment le chapitre dédié à Zakuro et la fin End Sky II).

Down the Rabbit-Hole I a le mérite d'être un peu plus intéressant en seconde lecture
Le chapitre suivant, Down the Rabbit-Hole II, où Minakami Yuki se retrouve à mener l’enquête sur la mort de Zakuro mais aussi sur toutes les rumeurs apocalyptiques qui flottent à Kita High (série de morts suspectes, prédictions autour de la fin du monde) est excellent. Le joueur prend plaisir à démêler avec elle les nombreux mystères qui ne font que s’épaissir au fur et à mesure de l’aventure. L’attrait est d’autant plus fort pour moi que Subarashiki Hibi emprunte au genre du denpa (une forme d’horreur particulière) et que c’est justement le cas d’une bonne partie de mes animes préférés. Il m’a donc été difficile de ne pas tracer de parallèle avec d’autres titres comme Serial Experiments Lain, Boogiepop Phantom ou encore Denpateki na Kanojo qui ont des prémices extrêmement similaires.

Yuki mène l'enquête !
C’est sans aucun doute le meilleur chapitre de l’oeuvre : Yuki est une protagoniste éminemment sympathique (une femme indépendante, affectueuse et fiable), Takuji apparaît comme un antagoniste intelligent et énigmatique, le mystère est d’autant plus prenant que le lecteur ne sait jamais si sa source est ordinaire ou surnaturelle et le rythme est globalement très bon. L’intrigue s’arrête sur un cliffhanger qui donne nécessairement envie de lire la suite...et c’est là que les choses se gâtent.
Coup de poker permanent
En raison de sa structure faite de perspectives croisées, Subarashiki Hibi semble se présenter comme une espèce de gigantesque puzzle où chaque chapitre permettrait au joueur de se rapprocher de la résolution finale. Or c’est tout simplement faux. Evidemment que les narrateurs sont peu fiables et que les perspectives se répondent les unes les autres pour éclairer certains points ou en remettre d’autres en question mais l’objectif principal du jeu n’est en réalité pas de résoudre l’enquête. Au lieu d’approfondir la panique grandissante qui s’empare de la ville en changeant simplement de narrateur comme le fait Boogiepop Phantom, Subarashiki Hibi prend le parti d’effectuer un changement radical de ton et d’ambiance à chaque nouveau chapitre.

On ne dirait pas de prime abord mais ceci est l'écran de sélection de chapitres
Ce coup de poker permanent est incroyablement osé puisque l’attention du lecteur n’est jamais acquise : il n’y a par exemple aucune garantie à ce qu’un fan de tranche de vie yuri apprécie les parties d’horreur psychologique, et vice-versa. Autant dire qu’il faut pas mal de maîtrise de la part de l’auteur pour conserver son lecteur jusqu’au bout…et ce n’est malheureusement pas le cas ici. La différence entre les chapitres est drastique au point de proposer une expérience complètement différente à chaque fois : ce visual novel est capable de captiver, d’ennuyer, comme d’agacer prodigieusement…quand il n’essaye pas de vous faire du mal directement ! Parce que c’est un fort joyeux bordel impossible à résumer, cette critique ne va donc rien épargner.

Représentation visuelle de ma recherche de catharsis
Life 2 : Giver Taker
Pour ma part, Looking-Glass Insects est le dernier chapitre à avoir réussi à me convaincre, probablement parce qu’il partage avec Down the Rabbit-Hole ce que Subarashiki Hibi a de mieux à offrir. Les personnages principaux sont une fois de plus des femmes, toutes différentes et pourtant toutes intéressantes à leur manière. C’est probablement Zakuro elle-même qui brille le plus par son évolution. Bien que son chapitre soit davantage une préquelle qu’une pièce de puzzle permettant de comprendre la vague d’hystérie qui secoue le lycée, il permet de l’humaniser et de s’attacher à elle, le tout sur fond de références littéraires et philosophique qui ajoutent une profondeur bienvenue.

Zakuro est trop pure pour ce monde, lui faire du mal est criminel...
Looking-Glass Insects s’articule essentiellement autour du thème du harcèlement scolaire, ce qui n’est pas sans rappeler le manga LIFE de Keiko Suenobu que j’aime beaucoup, notamment dans la branche alternative où, grâce à son courage retrouvé, Zakuro inspire Kimika et elles décident de faire front ensemble. La résolution est un peu tirée par les cheveux mais elle reste très gratifiante, ce qui rend la branche principale encore plus insoutenable en comparaison. Même en connaissant le sort inévitable de l’héroïne, on compatit avec elle et le scénariste sait jouer sur la corde sensible en nous présenter sa fin tragique comme une ironie cruelle.

Sauve-toi de ce jeu, Zakuro, c'est pour ton bien !
C’est aussi le chapitre qui contient le premier grand rebondissement que beaucoup de joueurs attribuent à Jabberwocky I : un des protagonistes souffre en réalité de trouble de la personnalité multiple, ce qui fournit de nouveaux indices tout en révélant les failles de sa perspective. Et c’est à peu près tous les éléments positifs que j’arrive à extraire de l’expérience Subarashiki Hibi.
\!/ It's all downhill from here; you’ve been warned \!/
II. Dans la tête d’un psychopathe
Doki Doki Literature Club dopé aux stéroïdes

Ancien wordcount récupéré sur le site maintenant indisponible de TLWiki
It's my Own Invention est le moment exact où tout bascule pour Subarashiki Hibi. Le joueur revient tout juste du chapitre impeccable qu’est Down the Rabbit-Hole et la perspective de Minakami Yuki, trouvant ses limites, laisse place à l’antagoniste principal du jeu, Mamiya Takuji. Cette transition semble couler de source : c’est en découvrant ses motivations qu’on peut espérer comprendre la vague d’hystérie qui secoue la ville. Et contrairement aux chapitres qui suivront, le ton a le mérite de rester globalement similaire, ce qui est toujours un plus. Or voilà, il s’agit d’une des pièces centrales de l’oeuvre. A lui tout seul, It's my Own Invention représente 1/3 du temps de lecture de Subarashiki Hibi, ce qui est aussi long que les deux plus gros chapitres suivants (Looking-Glass Insects et Jabberwocky I) combinés…et il s’avère être le pire chapitre du jeu.

Bien qu’It's my Own Invention remplisse sa promesse en continuant ce qui avait thématiquement été amorcé dans Down the Rabbit-Hole et en répondant déjà à beaucoup de questions qui échappaient à Yuki, il stoppe brutalement le rythme de l’histoire. En effet, parce que Takuji s’avère être un garçon extrêmement instable, le joueur est forcé de voyager dans son esprit tordu. En soi, c’est une excellente idée : partager sa descente dans la folie permet à SCA-JI (ou SCA-DI), l’auteur, d’expérimenter, de pousser les limites. Les hallucinations fréquentes du personnage remettent d’ailleurs constamment en question ce qui réel et ce qui ne l’est pas (comme le dessin sur le mur qui prend vie). Des hallucinations représentées par de graphismes à la fois torturés et déjantés (la rencontre avec Dieu, la bataille des magical girl pour sauver le monde).

Le problème c’est que l’exécution de ce concept est absolument atroce ! Le remplissage, un problème propre à Subarashiki Hibi de manière générale, n’est jamais aussi prévalent que dans le chapitre dédié à Takuji : toutes les scènes traînent constamment en longueur, la moindre expérimentation un peu intéressante (le fait que certains dialogues dérapent et se muent progressivement en sons incompréhensibles, par exemple) est répétée ad nauseam au point d’être vidée de sa substance. L’état de confusion quasi permanent du protagoniste aurait dû représenter le point fort du visual novel et il s’avère malheureusement rendre la lecture bien plus désagréable qu’accrocheuse. Sans compter que bon nombre des scènes d’hallucinations sont en fait complètement superflues et deviennent donc de moins en moins désirables à mesure que le temps passe, ce qui est quand-même un comble !
Un gourou en carton pâte
Pire encore, le personnage de Takuji est une amère déception. Down the Rabbit-Hole le présentait comme un gourou charismatique et énigmatique, It's my Own Invention l’expose tel qu’il est vraiment : un adolescent confus et extrêmement opportuniste. C’est bien simple, toutes les actions majeures de ce chapitre sont en réalité accomplies par Kimika, son bras droit. Takuji ne tombe sur le téléphone portable (et le corps encore chaud) de Zakuro que par pur hasard et, s’il envoie bien les premiers messages maudits par son intermédiaire, il commence très vite à bâcler son travail, puis à l’oublier.


Mesdames et messieurs : le messie !
C’est donc Kimika qui prend le relais et orchestre véritablement le meurtre de Senagawa. De même, s’il a bien prononcé un grand discours devant plusieurs des classes du lycée, c’est elle qui va prêcher la bonne parole pour recruter ses fidèles. C’est encore elle qui rattrape toutes ses erreurs et lui permet de sauver la face devant le reste de la secte en le félicitant publiquement d’avoir tué Senagawa ou en accréditant ses actions les plus farfelues comme l’achat du poster Riruru.

Le sang-froid de Kimika est impressionnant
De manière générale, Kimika apparaît comme la seule bouffée d’air frais du chapitre dans la mesure où c’est la seule méchante qui semble savoir ce qu’elle fait. Elle comprend très vite les plans de Takuji, feint allégeance et se charge de les exécuter avec une froideur assez grinçante. Là où les fidèles boivent l’élixir magique, elle préfère prendre une drogue différente pour éviter les encombrants effets secondaires et rester à peu près sobre. Et parce qu’elle oscille sans cesse entre la sincérité et la feinte, ses motivations apparaissent bien plus ambiguës.

Enfin une méchante avec laquelle je peux facilement m'identifier X)
Une fois la vérité établie, Kimika arrive encore à se montrer touchante malgré les horreurs qu’elle a accomplies là où Takuji peine à sortir de sa superficialité. De fait, il n’y a qu’au contact de Kimika qu’il montre des esquisses de sentiments qui ne soient pas pitoyables mais j’y reviendrai plus tard.
Sa Majesté des Mouches
Comme si ce n’était pas déjà suffisant, It's my Own Invention a le mauvais goût d’entamer un motif qui va perdurer jusqu’au chapitre suivant : l’usage abusif de la violence comme d’un outil facile pour choquer le lecteur et extraire de lui une réaction. Rien ne nous est épargné : les personnages subissent humiliation sur humiliation (physique et verbale), des agressions sexuelles de plus en plus élaborées, de la cruauté pure, du viol seul ou en réunion, avec ou sans utilisation de drogue, avec ou sans éléments de torture. Une scène de bestialité impliquant un personnage très secondaire est même jetée là pour faire bonne figure. Cette dernière a été censurée à l’occasion de la localisation en anglais du jeu pour des raisons légales mais certains joueurs mal avisés ont pris le parti de la restaurer via un patch ! Et ces scènes que je viens de décrire sont souvent racontées en long, en large et en travers, avec de savoureux détails. Sans compter que les plus affreuses bénéficient d’illustrations assez crues.


Une certaine idée du "fun"
La prévalence de cette violence rend la lecture de It's my Own Invention, et en filigrane de la branche principale de Looking-Glass Insects, extrêmement difficile, quand cela ne déclenche pas des crises d’angoisse. Il m’est ainsi arrivé de bloquer sur une scène de brimades qui se rapprochait beaucoup trop de ce que j’avais pu vivre par le passé et finir la soirée dans un état second. Et cette séquence avait au moins le mérite de présenter une importance scénaristique ! Ce n’est malheureusement pas toujours le cas : une partie des scènes violentes de Subarashiki Hibi n’ont aucun intérêt. Je pense notamment au changement soudain de perspective qui suit Kiyokawa, la professeure embrigadée, partie violer son père pour prouver qu’elle mérite de faire partie de la secte de Takuji, avant d’échapper nue à vélo et de finalement se proposer à des inconnus. Cet enchaînement aurait pu être entièrement omis de l’histoire que cela n’aurait rien changé !

Mon état d'esprit après chaque interminable scène de torture
L’arrière-goût se fait encore plus amer lorsque que certaines des scènes graphiques de viol se révèlent plus tard être…imaginaires. Si les viols perpétrés directement ou indirectement par Takuji dans It's my Own Invention étaient censé prouver à quel point c’est un être dérangé et fondamentalement mauvais, quelle est l’implication de leur inexistence ? Est-ce que Takuji est dédouané s’il n’a violé Ayana que dans sa tête ? Si Kagami n’a jamais été qu’une illusion ? L’incompréhension est totale. Le résultat (très certainement involontaire) de ce rebondissement est que le lecteur se sent surtout puni sans raison. Si ces scènes n’ont aucune conséquence pour les personnages, elles n'en ont pas moins sur la personne qui lit l’histoire. De fait la gratuité de la violence nuit profondément à l’expérience et aucun moment fort de Subarashiki Hibi ne justifie de points aussi bas.