Pour rester dans la lignée de Noir, je vais maintenant parler de Madlax, son « successeur spirituel », afin de compléter la saga Girls with Guns (qui se termine assez lamentablement avec El Cazador de la bruja).
Dans le pays moyen-oriental de Gazth-Sonika une terrible guerre civile fait rage depuis bientôt 12 ans. Au milieu de la pagaille une mercenaire officie secrètement, que ce soit dans la jungle profonde au plus fort des affrontements ou dans la zone démilitarisée faussement tranquille, sous le nom de code Madlax et avec une dextérité telle qu’elle entre dans les légendes urbaines. Pour une très grosse somme d’argent, vous pouvez requérir à ses services pour une tâche de garde du corps, un assassinat, un sabotage ou toute autre mission particulièrement délicate.
A des kilomètres de là, dans le pays prospère de Nafrece, une jeune bourgeoise un peu tête en l’air du nom de Margaret Burton vit paisiblement aux côtés de sa domestique Elinor jusqu’au jour où elle retrouve dans ses affaires un livre mystérieux aux pages teintées de sang.
Madlax et Margaret semblent à l’opposé l’une de l’autre, et pourtant un lien étrange les unit…
Calm violence
Si la série fait très clairement écho à Noir dans ses thèmes de départ (la profession de tueuse à gages, l’amnésie, deux héroïnes apparemment opposées, une organisation mafieuse qui contrôle le monde, la France, des gun-fights « magiques », le shoujo-ai), elle s’en démarque totalement par un traitement très différent. Cette fois-ci l’intrigue n’est pas resserrée sur deux personnages, il s’étend sur un cast beaucoup plus large (fatalement moins développé que pour Noir mais on y trouve son compte) comprenant enfin des protagonistes masculins importants et comporte pas mal d’éléments surnaturels (j’y reviendrai). De plus, il est à noter que si tout tourne autour de Madlax et Margaret, celles-ci ne se rencontrent qu’aux 2/3 de l’anime ! Voilà de quoi garder le spectateur en haleine…
Madlax commence par nous présenter son héroïne éponyme en action et alterne entre les deux jeunes filles d’un épisode à l’autre en prenant toutefois garde à faire le lien. Ainsi vous pouvez être certain que si un personnage habitant à Nafrece parle de Gazth-Sonika, lui ou quelqu’un avec qui il était en contact se retrouvera là-bas juste après et il y a de grandes chances pour que ce soit Madlax son agent…Le spectateur n’est donc jamais complètement perdu dans cette alternance. Puis petit à petit on finit par retrouver des passages avec les deux héroïnes à chaque épisode jusqu’à ce que, se rapprochant de plus en plus (en étant en contact avec les mêmes personnes par exemple), elles finissent par se rejoindre. Mais quel est le rapport entre Madlax et Margaret ?
En réalité il n’y a bien qu’une seule intrigue et elle est particulièrement bien ficelée en ce que chaque épisode est conçu de manière à percevoir un fragment de ce tout. Le rythme avance parfois un peu lentement mais on se rend vite compte que tout est nécessaire, il n’y a jamais de passage en trop et même l’épisode « piscine » où Margaret, Elinor et Vanessa font trempette en maillot de bain est déterminant dans la progression de l’histoire, c’est vous dire à quel point BeeTrain a tout prévu. Et il y a toujours des scènes de bataille pour venir dynamiser l’ensemble de temps en temps. Aller plus vite serait de toute façon impossible pour comprendre le final (car oui il comprend pas mal de subtilités).
A gauche : Madlax. A droite : Limelda et Margaret
Revenons-en aux protagonistes principaux pour mieux saisir ce grand « tout ».
Gazth-Sonika
Nous avons donc Madlax, l’agent le plus redoutable de Gazth-Sonika, doublé par Sanae Kobayashi (Lucy d’Elfen Lied, Akira de Mai Hime). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Madlax n’est pas une machine à tuer inhumaine et froide, c’est même une jeune fille plutôt sensible. Elle n’hésitera pas, par exemple, à prendre des risques pour rencontrer son client à l’épisode 3 lorsqu’elle apprendra que commanditaire et cible ne font qu’un, sans aucune raison, juste pour comprendre son geste, juste pour passer du temps avec lui. Cette sensibilité est d’autant plus étrange qu’elle se mélange à une adresse presque surnaturelle dans le combat. Madlax est donc un personnage assez intéressant qui ne tue au fond que par nécessité, que parce qu’elle y est obligée pour survivre mais qui le fait avec une nonchalance extraordinaire. A noter qu’elle affectionne troquer sa tenue militaire pratique contre des robes de soirées, comme si elle allait au combat comme à une fête, ce qui apporte une petite touche de fanservice assez rigolote et non envahissante (et puis c’est classe une tueuse qui virevolte en robe de soirée).
Très vite apparaît dans l’histoire une sorte de Némésis à Madlax dans la personne de Limelda Jorg, doublée par Aya Hisakawa (dois-je encore la présenter ?). Sniper d’élite au service de l’armée royale de Gazth-Sonika et considérée comme la meilleure tireuse du pays, quand elle est mise en déroute par Madlax, Limelda le prend forcément très mal et son orgueil n’accuse pas le choc. Dès lors, elle se mettra en tête de poursuivre sans relâche la jeune fille pour la tuer et chacune de leur rencontre renforcera sa détermination. Détermination qui ne s’explique en fait vraiment que dans la seconde moitié de la série. Limelda veut prendre sa revanche, c’est certain, on voit bien qu’elle admire sa rivale sans même se le cacher, mais leurs relations sont bien plus complexes que cela : en réalité Limelda voit en Madlax une sorte d’alter ego et elle est sans arrêt poussée à la défier parce que c’est la seule capable de la vaincre ; leurs confrontations récurrentes la font se sentir exister et une fois un certain cap passé, on nage dans l’obsession et Limelda ne pensera plus qu’à elle.
Ignorez avec moi les gens au second plan et bavez devant Nahal qui n'a été conçue que dans l'optique d'être cool
Nafrece (anagramme de France)
Très loin de ce climat de guerre et du parfum de la mort, Margeret Burton, doublée par Houko Kuwashima (qui faisait déjà Kirika dans Noir), a l’air de posséder une vie idéale : elle est incroyablement riche, possède sa propre domestique, et va dans une école apparemment aisée. Mais là où Madlax parvient à conserver son humanité même dans l’horreur de la guerre, Margaret au contraire a une personnalité complètement brisée. Elle se montre dénuée de sentiments, apathique, mais pire encore, on dirait qu’elle ne vit tout simplement pas dans le même monde que ses semblables. Elle semble coincée dans le passé, incapable de grandir. La plupart du temps elle arbore une attitude incohérente ou enfantine, ce qui fait qu’il est très difficile d’apprécier ce personnage, du moins lorsqu’on ne sait pas quel traumatisme caché l’a poussé à se renfermer dans son monde. Même en étant mentalement un peu déficiente, son excentricité lui vaut d’exercer un incroyable pouvoir sur son prochain et elle marque involontairement tous ceux qui la rencontrent.
Autour de Margaret évoluent Elinor, doublée par Ai Uchikawa, qui se révèle être le modèle même de la domestique accomplie (bonus dans sa maitrise des arts martiaux), la notion pure de maid se dévouant à sa maitresse au péril de sa vie, et Vanessa, doublée par Satsuki Yukino (Shion/Mion Sonozaki dans Higurashi, Mutsumi dans Love Hina), une amie de la famille Burton et ancienne préceptrice de Margaret, qui va avoir un rôle déterminant dans l’intrigue puisque c’est suite à l’épisode « piscine » que prise de doute, elle va tenter de mettre au jour le complot d’Enfant sans prévoir qu’elle mettrait ainsi le doigt dans un terrible engrenage.
Vous ? Le méchant de l'histoire ? Je ne m'en serais jamais doutée...
Enfant
Avec un nom français, tout comme les Soldats de Noir, ce terme désigne une organisation criminelle que devront affronter les différents personnages pour parvenir à découvrir la vérité concernant leur passé. Sauf que cette fois-ci, légère subtilité, Enfant ne contrôle pas uniquement des hommes de main à troncher à chaque épisode (quoique…) mais surtout un réseau d’informations immense que leur chef, Friday Monday, doublé par Masashi Ebara, se fait un plaisir de manipuler. Lobotomiser les gens c’est son métier, c’est son hobby, aussi n’hésitera-t-il pas à faire disparaître votre existence de manière propre et efficace. Doté d’un sobriquet ridicule, Friday Monday est malheureusement un méchant caricatural aux motifs abstraits et difficilement plausibles. Son comportement excessif et son manque de profondeur en font un antagoniste maladroit. A mes yeux, le plus gros défaut de l’anime…
Heureusement, le bras droit de Monsieur « Vendredi Lundi », un certain Carossur Dawn, doublé par Toshiyuki Morikawa (Alex Row de Last Exile, Sephiroth dans les compilations récentes de FFVII, je crois que nous avons une voix garantie « effluves de classe ») se montre bien plus complexe que son supérieur, notamment parce qu’il n’obéit pas bêtement aux ordres d’Enfant et ne tarde pas à mener à la barbe et au nez de Friday Monday ses propres recherches pour retrouver avant lui le livre que possède Margaret. Arborant souvent un sourire énigmatique, il entretient une liaison assez particulière avec Limelda dont il a fait son garde du corps personnel.
Quanjitta et les deux enfants : Laeticia et Poupee
Les gardiens
En plus de cette ribambelle de protagonistes, il faut compter sur une très belle femme du nom de Quanjitta Malice/Malison (Mako Hyoudou) vivant recluse dans un village de Gazth-Sonika avec sa disciple Nahal (Chikayo Nakano). Toutes deux observent l’intrigue se tisser de loin et ont un comportement assez ambigu, ce qui fait qu’on ne sait jamais vraiment quelles sont leurs intentions. La parenté avec Altena et Chloé dans Noir est facile à faire même si elle n’est pas tout à fait exact : on peut considérer que si Friday Monday est la part de folie d’Altena, Quanjitta est son aspect « bonne mère », là où Nahal fait preuve de bien plus de discernement que son homologue aux cheveux chatoyants.
Nous avons aussi deux êtres assez mystérieux qui semblent errer dans un autre monde, deux enfants visiblement liés à Madlax et Margaret, dont Laeticia (Tomoko Kaneda) aux yeux de poupée qui ponctue souvent l’histoire de remarques philosophiques, obscures et oniriques.
Survie, vérité…et bizarre
Maintenant qu’on a mis un peu au clair cette toile d’araignée, on commence à entrevoir quel sera le thème autour duquel s’articulera Madlax : Noir traitait de la vengeance et l’identité, son successeur développe la recherche de la vérité et le sentiment de la survie. Survie car si l’héroïne éponyme se lance dans des combats toujours plus esthétiques que réalistes et ressort indemne de situations incohérentes (Un militaire est à deux pas d’elle, il lui tire dessus, elle ne bouge pas d’un iota…il la manque 15 fois. Elle tire un seul coup de feu, le militaire s’écroule mort) c’est aussi parce qu’elle ne peut pas encore mourir, elle doit rester en vie car il lui reste des choses à accomplir. Mais survie aussi dans le sens où la série nous montre des hommes et des femmes parfois désespérés et qui, pour continuer à exister, plongent dans la folie la plus totale. Une folie pas toujours volontaire… En effet Friday Monday possède un livre un peu particulier à l’aide duquel, en prononçant quelques mots (Elda Taluta), il peut faire se réveiller à l’intérieur de ses victimes une angoisse immense qui les pousse à toutes les atrocités possibles et imaginables (justement pour « survivre » à cette épreuve) quand cela ne les enferme pas dans un désespoir sans fin, un peu comme si le mot devenait action, qu’il suffisait d’appeler la mort pour qu’elle survienne soudain ; un concept intéressant qui devrait passionner nos amis linguistes.
Face à la survie, il y a la vérité, c’est à dire que pour continuer à exister chaque personnage se cherche lui-même dans un idéal d’absolu qu’il appelle « vérité » parce qu’il est persuadé que c’est la seule chose qu’il ne pourra jamais remettre en doute. Ironie du sort c’est la découverte de cette vérité qui empêche le personnage de continuer à exister…parce que dans Madlax il existe des éléments complètement surnaturels dont il faut être conscient pour apprécier pleinement la série.
Si vous ne supportez pas les œuvres où la magie a tendance à un peu tout expliquer, il y a de fortes chances que Madlax vous dérange. En effet, ici tout est bardé de fantastique : Les mots magiques qui rendent fous ou Madlax qui survit à toutes les balles ne sont rien en comparaison du twist final (que je développerai dans la partie spoiler) ! Pour donner un exemple suffisamment parlant, certains protagonistes (parfois totalement anecdotiques et inutiles) sont en réalité morts depuis longtemps...et vous les voyez quand même comme des êtres vivants et parlants. Je ne préciserai pas plus mais si l’idée vous est insupportable, vaut mieux passer son chemin….
Jeu et image
Ce qui est fascinant dans Madlax c’est qu’en réalité les scénaristes vous disent déjà tout depuis le début, que la série est parsemé de petits détails qui trahissent la vérité, mais comme le twist final sur lequel se base toute l’intrigue est purement surnaturel, votre raison n’arrivera jamais à cette conclusion sans avoir vu les explications adéquats. Ce qui fait que ce n’est qu’en se repassant l’anime dans son intégralité qu’on se rend compte qu’en réalité tous les indices étaient là depuis le départ pour nous aiguiller sur le bon chemin, mais qu’on ne les a pas interprété correctement par pure logique.
La série joue donc constamment avec vous à votre insu et s’amuse à vous guider petit à petit dans un long périple où s’alternent une fois de plus scènes d’action et passages oniriques le tout ponctué de réflexions un peu métaphysiques. L’exemple qui me vient immédiatement en tête est bien sûr celui de l’épisode 4 dans une scène absolument magnifique, qui devrait vraiment être analysée en profondeur, à la limite du songe et du souvenir (Proust es-tu là ?) où Margaret rêve d’un champ de fleurs jaunes sur fond d’une musique envoûtante. [HS : les petits curieux seront peut-être intéressés d’apprendre que c'est de là que je tire mon pseudonyme] Il y a bien d'autres exemples possibles mais ce serait trop long à répertorier.
L'opening de la série regorge de symboles
A ce propos, je crois qu’on peut dire que la réalisation est assez irréprochable : les graphismes, plus récents que pour Noir, sont de toute beauté (petit coup de cœur pour l’effet « cheveux ensoleillés ») et une fois encore Yuki Kajiura a fait un travail incroyable pour la musique. Le thème le plus récurrent de la série, Nowhere, ne devrait d’ailleurs pas vous être inconnu si vous connaissez le Kumikyoku…Le seul défaut qui me parait évident c’est que l’utilisation de flashbacks qui au début était très sommaire devient complètement abusive pendant 2 épisodes vers le milieu de l’anime (du genre 5 fois exactement la même scène) avant de revenir à la normale (il y en a moins que dans Noir mais il y en a quand même car la recherche du passé reste une grande obsession de certains personnages). Je ne m’explique pas ce drôle de détail.
\ !/Attention, gros spoilers \ !/
Un pas vers la maturité
La fin a généralement été très vivement critiquée, pourtant j’avoue ne pas y avoir trouvé grand-chose à redire. J’ai eu un peu peur lorsque Madlax s’est souvenu avoir tué le père de Margaret parce que c’était étrangement incohérent mais la révélation finale était en fait très bien pensée : les héroïnes ont le même passé justement parce qu’à l’origine elles ne formaient qu’une seule et même personne avant de se séparer en deux « moitiés » d’être. Leur réunion pour retourner à cet état originel était donc logique. Ce qui a froissé les gens, je pense, c’est que le souhait de Margaret ne soit pas de ressusciter ses amis morts pour elle (y a quand même eu 3 de ses proches qui y sont passés) et qu’elle redonne à la place à Madlax une existence propre. Pour moi c’est au contraire une preuve de maturité. Depuis le début de la série, Margaret se fait maternée, choyée et protégée par ses proches, c’est une enfant pourrie gâtée qui n’a aucun sens des valeurs (et qui dégaine son chéquier plus vite que son ombre). En voyant tomber ceux qu’elle aimait et en assumant le meurtre de son père, elle a grandi, elle a repoussé cet espèce de déni malsain qu’elle arborait tout au long des derniers épisodes en proclamant Friday Monday comme son propre géniteur. Cette fois-ci Margaret accepte que le monde n’aille pas dans son sens, elle accepte devoir parfois se débrouiller toute seule. Symbole suprême : on voyait au départ Elinor s’occuper d’elle comme une mère envers sa fille, et à la fin elle choisit de faire de Laeticia sa petite sœur, donc de prendre non plus le rôle de l’enfant mais de la « maman ». C’est une grande évolution du personnage et au fond un choix beaucoup plus mature que de déclarer « Hophophop, où sont mes esclaves personnels ? Allez bande de larves, je vous ressuscite sinon je serais obligée de me faire à manger moi-même et c'est un scandale».
De plus elle rend à son alter ego le contrôle de sa vie, une autre preuve de maturité. Ce qui avait enclenché la séparation en deux corps c’était bien la volonté de Margaret de se dédouaner de ses responsabilités, donc de les forcer sur le dos de Madlax. Au lieu de la faire disparaître, de faire disparaître sa culpabilité, elle la libère. Mais ce n’est plus qu’une séparation « artificielle » (à moins qu’on ne considère cela comme la véritable séparation et donc que c'est le vrai thème de l'anime) puisque chacun a à présent conscience de son héritage, elles ne sont plus deux moitiés de la Margaret Burton originale : elles sont deux personnes entièrement différentes.
En ce sens, j’estime que la série a au contraire très bien su se conclure (sur fond de musique géniale, que demander de plus ?) et éviter le happy end absurde à la Mai Hime.
\ !/Fin spoilers \ !/
En conclusion, Madlax se révèle utiliser l’héritage de Noir de manière très intelligente : les scénaristes ont bel et bien réussis le tour de force de traiter la même histoire dans un style alternatif et à en faire une production bien différente que son aînée, possédant des qualités très semblables (mais aussi les mêmes défauts, c’était un peu inévitable) tout en disposant d’une identité propre, le tout avec une musique toujours aussi sublime. Sa complexité surnaturelle ne plaira cependant pas à tous, la série vaut tout de même le coup pour ceux qui ont vu Noir mais aussi ceux qui apprécient le fantastique mêlé d’action.
Et maintenant il est l’heure de manger des pâtes, oui des pâtes =).