En réalité cela fait depuis très longtemps que j’ai envie de faire cet article et il a sans cesse été repoussé pour tout un tas de raisons (certaines indépendantes de ma volonté). Il aurait normalement dû voir le jour en février 2011, après Ongaku #2. Je comptais ne jamais faire de critique d’un album complet de A jusqu’à Z mais celui-ci en vaut largement la peine que je contrevienne à cette règle tacite. Sinon je m'excuse pour l'aspect peu pratique des extraits sonores mais les chouettes vidéos qui faisaient la traduction de Märchen avec un petit montage et toutes les informations nécessaires (références, seiyuus, qui chante quelle partie) et que je comptais utiliser ont bien entendu été bloquées par Youtube et il a fallu que j'upload les pistes sur Puush pour vous permettre d'écouter quand-même (parce qu'un article musical sans musique c'est un peu con).
Back in the past
Pour commencer il faut savoir que je suis tombée sur Märchen par hasard au début de l’année 2011. Le dernier single de Sound Horizon (si vous ne connaissez pas encore ce groupe, allez lire mon article dessus fissa, bande de garnements) étant déjà sorti automne 2010, je n’attendais pas leur nouvel album avant un paquet de mois et mes dernières expériences avec le groupe m’ayant laissé un goût amer, je ne l’attendais que très froidement en me disant que ce serait probablement le dernier Sound Horizon que j’écoutais. Et en constituant mon calendrier de sorties en OSTs, surprise, le dernier album était déjà paru en décembre 2010 et non sur le thème « Conquistadores » comme prévu mais sur les contes des frères Grimm, un sujet éminemment séduisant. Je me suis jetée un peu à reculons dans l’aventure, à la fois inquiète de voir ce que Revo avait bien pu fabriquer, et intéressée par la culture germanique (l’allemand est ma 1e langue vivante donc fatalement je comprends mieux l’allemand que le japonais) et l’aspect contes de fées. Le choc aura donc été d’autant plus puissant. Et des choses à dire sur cet album, j’en ai à foison !
Une structure finement élaborée
Avant même d’invoquer la musique, il convient de parler de la structure de Märchen (qui, je le rappelle, signifie « contes » en allemand). Comme l’histoire reprend exactement là où se terminait le single Ido e Itaru Mori e Itaru Ido (déjà mentionné la dernière fois et que je n’avais que moyennement apprécié), je me suis demandée pourquoi avoir séparé en deux ce qui était censé former une unité. J’ai vite compris. L’album repose en fait sur un savant jeu d’échos. La première piste, Yoiyami no Uta (Chant du crépuscule), très sombre, entre ainsi en résonnance avec la dernière piste Gyoukou no Uta (Chant de l’aube) lumineuse. Dans cette boucle de 9 chansons, 7 sont centrées sur 7 personnages, toutes des filles décédées de manière tragiques, dont l’histoire est liée aux 7 péchés capitaux. Les deux premiers et les deux derniers contes encerclent un trio un peu spécial puisque la 4e mélodie, sur Blanche-Neige, est profondément liée à la 6e mélodie sur la Belle au Bois Dormant : toutes deux sont des princesses endormies pour l’éternité qui font face à une méchante sorcière et sont sauvées par le prince courageux. Et justement la sorcière est doublée dans les deux cas par Miki et le prince dans les deux cas par Yume Suzuki. Le thème du prince se retrouve également sous une forme identique dans les deux chansons. Et dans cette enclave spécifique, la 5e chanson se démarque de tout l’album en ce qu’elle raconte une histoire aussi tragique que les autres mais sur une musique pop et enjouée, ce qui fait qu’on s’y perd un peu sans les paroles. En outre, ces trois héroïnes seront les seules à revenir des limbes où elles étaient prisonnières. La structure a été tellement finement élaborée qu’effectivement, on comprend mieux que Revo ait voulu séparer Ido dans une sorte de single faisant office de prologue.
L’histoire
La marque de fabrique de Sound Horizon est de bâtir leurs albums autour d’intrigues souvent très sombres et riches, Märchen n’échappe pas à la règle mais pour mieux comprendre ce qu’il se passe, il convient de rappeler le contenu du prologue, Ido e Itaru Mori e Itaru Ido. Celui-ci propose en réalité une histoire à rebours en commençant par la fin et en remontant progressivement vers le début tout en se permettant des sauts temporels. Je vais tenter de remettre cette chronologie un peu en place. La première moitié de Kanojo ga Majou ni natta riyuu nous conte l’histoire d’une femme du nom de Thérèse (interprétée par Miki) qui vit dans une Allemagne médiévale en compagnie de son petit garçon, März, qui est albinos et fut malvoyant à sa naissance. Elle possède des connaissances très poussées en médecine, si bien qu’on vient régulièrement la consulter pour soigner les maladies. C’est ainsi qu’elle sauvera un soir la petite Elisabeth, fille unique d’une femme riche, et également le fruit d’un inceste (son père est aussi son frère).
Les deux enfants ont sensiblement le même âge et deviendront amis (d’autant plus que Mär est guéri de sa cécité pour dieu sait quelle raison). C’est ce que chante une Elisabeth grandie (à travers la voix de Joelle) dans Kono semai torikago no naka de. Elle a la nostalgie du passé, de cette enfance solitaire où on la séquestrait pour qu’elle fasse une bonne future épouse et où seules les visites de son ami la consolaient. La réputation de Thérèse commence à vaciller et on murmure qu’elle exerce la sorcellerie, aussi pour se protéger, elle va vivre avec son fils dans la forêt, forçant März à dire adieu à Elisabeth. Il reçoit d’elle une petite poupée à son effigie et la promesse de se revoir. On revient dans le « présent » alors que la jeune femme est priée par son frère/père d’entrer.
La suite on l’apprend dans Hikari to Yami no douwa alors que März, sa poupée à la main, s’apprête à rentrer à la maison. Deux hommes le suivent et demandent à voir sa mère, l’enfant, naïf, s’exécute et condamne sans le savoir sa famille. Les brutes brûlent sa poupée et la lancent, ainsi que lui, à travers la fenêtre. L’albinos s’écrasera dans le puits où il mourra brutalement tandis que sa mère, Thérèse, se bat bravement mais finit capturée. Son sort est exposé à la fin de Kanojo ga Majou ni natta riyuu où elle est brûlée pour sorcellerie en place publique. Avant de rendre l’âme, elle s’excuse de ne pas avoir pu sauver son fils qu’elle aime, et tourne sa haine envers ceux qui l’exécutent en se promettant de devenir une véritable sorcière qui se vengera. Le prologue se conclut sur son rire maléfique qui se mue en cri de souffrance.
Yoiyami no Uta
Crépuscule
Passant maintenant à la critique en elle-même, qui sera laborieuse vu la richesse du matériau de base. Comme souvent dans les derniers Cds de Sound Horizon, Revo a tendance à se réserver une première piste très rythmée. Märchen ne fait pax exception à la règle mais quelques surprises nous attendent au tournant ! Après les dernières secondes d’Ido accolées en intro angoissante (c'est-à-dire le cri déchirant de Thérèse sur son bûcher), le narrateur allemand, Sascha commence un décompte inquiétant tandis qu’une voix aiguë monte en puissance et que les dernières paroles de Thérèse confirment sa vengeance. La bulle finit par éclater vers 0:45 où le « aaaaaah » angoissant se mue en un étrange « Aishiteru » (Je t’aime). Soudain un piano, puis la batterie, la guitare électrique et des violons entrent en scène et Revo commence à chanter (c’est lui le personnage principal). Il se serait arrêté là, Yoiyami no Uta aurait été une intro traditionnelle à la Sound Horizon. Mais le coup de génie du compositeur aura été d’introduire des reprises d’airs classiques célèbres dans le morceau et de les coller ensemble dans une harmonie surprenante.
Certains ont reconnus l’air de la Lettre à Elise de Beethoven. Or la jeune fille que l’on entend (Hatsune Miku en version chantée et sa doubleuse Saki Fujita sans effet synthétique lorsqu’elle parle normalement) se nomme Elise dans l’histoire. C’est la poupée confiée à l’albinos par Elisabeth qui prend vie en recueillant l’âme de Thérèse et se réveille aux côtés d’un März adulte qui a fusionné avec l’esprit malveillant qui résidait dans le puits, un certain Idolfreed mort de la peste, et en ressort amnésique. Désormais sous le nom de Märchen von Friedhof, il va accomplir sa mission d’esprit vengeur en répandant la mort autour de lui. L’anecdote est que le titre initial de la Lettre à Elise était justement « Für Thérèse » qui reflète donc la transformation de la sorcière en poupée. Revo n’a pas fini de nous surprendre niveau références !
Yoiyami no Uta continue donc dans sa lancée (avec quelques chœurs en fond) lorsque Märchen von Friedhof invite les morts à se soulever pour se venger. 7 jeunes filles répondent à l’appel et entament un refrain sous forme de leitmotiv en allemand proprement envoutant. Niveau déclinaisons (mon côté germaniste, que voulez-vous) j’ai noté une petite erreur mais bon on s’en fout, c’est beau. A 3:46 et 5:21 et donc les 7 cadavres chantent « Kommt, die Nacht kommt ». C’est presque trop court j’ai envie de dire. Mais voilà 5 minutes se sont déjà écoulées et on arrive seulement au milieu de la piste. Et la suite sera encore plus jouissive (et ça parait pourtant impossible) : de 6:15 à 6:38 l’Ode à la joie, toujours de Beethoven. L’Ode à la joie. Version rock. Et en allemand bien sûr. Un pur orgasme auditif. Et comme ça ne dure que quelques secondes on reste totalement sur sa faim en plus. Revo est machiavélique. S’en suit une reprise très réussie de des Tableaux d'une Exposition de Moussorgsky puis de Fantaisie-Impromptu de Chopin au piano. Et à peine remis du choc de la 9e symphonie, un chœur s’élance et s’interrompt. Petit flashback avec le puits (Ido) qui parle à März (mort enfant et « ressuscité » adulte) et lui propose d’une voix monstrueuse et lugubre de fusionner. Les cris qui suivent ne nous laissent aucune illusion quant à la souffrance du processus. Et là… Hatsune Miku (dont je ne suis pourtant pas fan à l’origine) qui ne fait qu’une discrète apparition a son petit moment de 7:50 à 8:18 sur ce qui ressemble énormément à l’Antre du roi de la montagne dans Peer Gynt. Visiblement je ne suis pas la seule à avoir noter les similitudes mais Revo n’a indiqué l’inspiration nulle part. Pourtant ce crescendo si familier… En tout cas ce passage est encore plus énorme que l’Ode à la joie. On repousse les limites de l’impossible. Les 10 minutes passent à une vitesse affolante, c’est dingue.
Après une entrée en matière aussi extraordinaire et géniale, j’ai eu très peur que le reste ne soit pas à la hauteur. Si, certes c’est toujours Yoiyami no Uta que je préfère, l’album tout entier est juste énorme. A partir de là nous sommes entraînés dans le cercle des vengeances. Et chaque chanson (sauf la dernière, je l’ai déjà signalé sur le paragraphe concernant la structure) débutera par un petit prélude où Revo/Märchen intime à la victime de chanter pour lui. Celle-ci lui raconte alors son histoire, comment elle a été tuée, et lui propose une solution, souvent sanglante avant de conclure avec un mini-dialogue avec Elise où tous deux commentent leur travail.
Kakei no Majo
Péché : La gourmandise
La première piste est la complainte d’une nonne qui a été abandonnée par sa mère très jeune à l’époque où elles vivaient toutes les deux dans la forêt parce qu’elles étaient trop pauvres. Elle essaye de se souvenir des jours heureux, avant que le couvent qui l’avait recueilli ne soit attaqué. Les premières secondes à la flûte de 0:27 à 0:40 sont charmantes, puis résonne la voix de Kanami Ayano qui interprète la nonne. J’avoue avoir beaucoup de mal avec son timbre et le début de la piste est un peu fade pour mes goûts, surtout que l’instrumentation se fait bien discrète. Heureusement entre 3:34 et 3:50 la guerre éclate et nous dévoile une sublime parenthèse au violon et à la guitare sèche où la voix partant dans les hauteurs de Kanami Ayano semble davantage à sa place. Le tout se dynamise un peu mais ce n’est que vers 4:30 quand la nonne retourne dans la forêt pour voir sa mère et se retrouve face à une vieille femme qui ne la reconnaît pas et qui semble à moitié tarée, pour vraiment profiter de la montée de tension violons/guitares (pour cause, elle fait la narration et ne chante plus). Elle est alors empalée sur un autel. S’en suit une courte envolée de Miki (qui joue la vieille femme) de 4:58 à 5:32 sous un air lent de batterie et de guitare électrique qui est franchement sympa et inaugure du bon.
Sauf qu’après que Märchen ait déclaré le cercle de la vengeance enclenché, on découvre ses instruments : Hansel et Gretel. Ce sera donc notre conte subverti. Le problème c’est que les deux gamins sont un peu insupportables et que le passage où la vieille femme vante sa maison « en sucreries » ne rend pas bien justice à la voix de Miki. Il faut vraiment attendre 7:58 pour retrouver une fibre épique lorsque le fantôme de la nonne, qui a guidé les enfants vers son ancienne maison, raconte combien ils s’empiffrent sur des pointes de violons et de batterie. Hansel et Gretel décrètent alors de leur propre chef que leur hôte est une sorcière et, toujours poussée par l’esprit de la nonne, lui foutent un coup de pied bien placé lorsqu’elle ouvre la porte de sa grande cheminée. Elle pousse un cri ardent et brûle donc vive. Ce qui est intéressant c’est qu’il n’est dit nulle part qu’elle voulait les manger ni qu’elle était méchante, elle était donc parfaitement innocente cette fois et les vrais méchants sont les deux gosses. A noter que le thème de la vengeance, qu’on retrouve à la fin de toutes les pistes, est ici étouffé par la narration d’Hansel et Gretel.
Une piste qui est loin d’être mauvaise mais qui se révèle plutôt moyenne en comparaison du reste de l’album. Comme ça on pourra mieux apprécier la suite vous me direz...
Kuroki Joshou no Yado
Péché : L’avarice
Cette seconde piste ressemble à bien des égards à la première dans le début de l’histoire (une jeune fille pauvre, la guerre) mais largement améliorée. Les premières secondes de 0:17 à 0:30 dévoilent cette fois-ci des chœurs lugubres d’enfants avant de basculer vers notre nouvelle héroïne : une humble paysanne. REMI adopte pour l’occasion un dialecte un peu particulier en avalant les syllabes pour mieux sonner provinciale, sa voix reste malgré tout très pure et rappelle volontiers que c’est une excellente cantatrice, surtout dans le passage suivant de 1:46 à 2:38 où elle se fait le témoin d’une guerre sanglante et épique à grands coups de violons, de batterie et de bruitages d’explosion et de cris. Et puis la jeune paysanne est vendue à une auberge dont la propriétaire est interprétée par nul autre que Jimang. En travelo donc. Comme d’habitude il fait très bien le pitre et sonne toujours s’il était très vieux mais je ne peux toujours que difficilement supporter le résultat. Reste qu’il sait mettre de l’ambiance et joue très bien son rôle. Vient ensuite le moment décisif où la propriétaire se rend compte qu’elle n’a plus rien à offrir à manger à ses clients et décide de purement et simplement s’absenter pour aller piquer les organes des pendus. Ce n’est jamais précisé dans la chanson mais on peut plus ou moins le deviner à travers le conte d’origine, parfaitement méconnu, L’homme de la potence. Il y a donc un vent de panique entre 4:14 et 5:07où Jimang commet l’irréparable, sert son client puis affirme que piller les cadavres c’est très bien (il n’y a pas de petits profits), le tout sur fond de violons, de guitare et de batterie, comme précédemment, puis avec un accordéon. Et puis, sans qu’on sache pourquoi, la serveuse se pend (ou est pendue, impossible de déterminer si c’est un homicide) et REMI nous entonne un petit requiem bien sympa avec simplement un peu de piano et de guitare.
La serveuse revient ensuite d’entre les morts grâce à Märchen et le thème de la vengeance éclate alors vers 5:58 dans toute sa puissance avec un mélange exlosif de guitare électrique et de batterie sur lesquels s’ajoute le chœur d’enfant (qui répète « toctoc, toctoc ») et même de l’orgue jusqu’au paroxysme de la chanson. Et là, REMI déclare simplement « Rends-moi mon foie » et Jimang hurle. Tout simplement jouissif.
Garasu no hitsugi de nemuru Himegimi
Péché : L’envie
Cette fois-ci le conte de fée nous est très clairement expliqué dès le début et il s’agit de Blanche Neige. Revo a choisi de coller à la version qui la décrit comme une enfant, c’est donc une petite fille qui chante, la jeune Tomoyo Kurosawa qui jouait déjà un rôle mineur dans le précédent album, Moira. Elle devait avoir 13-14 ans au moment de l’enregistrement et, à ma grande surprise, je trouve que sa voix, même si très haut perchée, n’est pas si désagréable. Son monologue introductif où elle précise son histoire est calme, simple mais plutôt bien joué. Elle est régulièrement interrompue par Miki, qui cette fois fait la belle-mère, chantant devant son miroir (et c’est Jimang le miroir) et contemplant sa beauté. Un léger crescendo nous mène au moment fatal où le miroir avoue que c’est Blanche Neige la plus jolie et s’en suit un passage guitare/violons (+batterie à la fin) de course-poursuite entre elle et le chasseur (encore Jimang) de 2:34 à 3:26 entraînant à souhait. Pour continuer dans l’excellence le thème que l’on entend brièvement de 3:27 à 3:43 lorsqu’elle erre dans la forêt jusqu’à la maison des 7 nains est franchement bon. Un peu de batterie, du piano, et on a envie de danser. Thème malheureusement trop court. Mais déjà l’arrivé des nains entraîne une scène comique tout aussi entraînante. Et comme Revo est vache, il a inclut un passage secret de même pas dix secondes en plein milieu vers 4:20, passage qui parle d’un certain Idolfreed. Mais évidemment on ne l’entend presque pas parce que cette narration est écrasée par ce que raconte Tomoyo Kurosawa. A vrai dire, il faut tendre l’oreille pour comprendre que ce ne sont pas les nains.
Après une telle effervescence on en revient à une mélodie plus calme lorsque la sorcière vient offrir une pomme à Blanche-Neige (et comme d’habitude Miki a une voix intense qui transperce tout).
Quelle sera la vengeance pensée par Märchen ? Eh bien, puisque la princesse est plongée dans un sommeil éternel, elle n’est techniquement pas morte et peut donc revenir sur terre. Pour cela, elle a besoin...d’un prince. C’est ainsi qu’à 5 :58 nous est introduit un passage purement épique où Yume Suzuki nous joue un prince en quête désespéré de trouver la femme parfaite. Sa voix colle admirablement bien et a un petit quelque chose d’étrange et de viril à la fois. Je vous conseille d’écouter d’abord avant de lire ce qui va suivre. En effet, Yume Suzuki est...une femme. Je crois que je n’ai jamais entendu un prince aussi « charmant », elle est juste parfaite dans le rôle. Dès le moment où le prince pénètre dans la forêt jusqu’à se trouver devant le corps sans vie de Blanche-Neige on peut entendre de 6:47 à 7:00 le même thème que de 3:27 à 3:43 mais réarrangé de manière plus dynamique et avec la superbe voix du prince. Comme dans le conte, le cercueil est renversé et la jeune fille revient à la vie. S’enclenche alors le thème de la vengeance joué à l’orgue et au violon tandis que l’héroïne répète les toutes premières paroles de la chanson mais en changeant certains mots de manière macabre. Dans une sorte de leitmotiv, voilà de nouveau Miki qui brûle puisque la belle-mère est forcée de danser avec des chaussures brûlantes jusqu’à sa mort. Les rires maléfiques de Tomoyo Kurosawa se superposant aux cris ont de quoi faire peur.
Une piste tout simplement magistrale qui se conclue cependant par une légère ambiguïté puisque le prince réagit à ce spectacle par une réflexion de désarroi dont on ne sait ce qu’elle représente (trouve-t-il que la belle Blanche-Neige est une garce ? que la méchante fait bien de crever en public ? mystère).
Sei to Shi wo wakatsu Kyoukai no Furuido
Péché : La paresse
Désolée, j'ai pas trouvé meilleure qualité pour l'image
Revo aime les contrastes et il lui arrive de temps en temps de raconter les plus atroces supplices avec des mélodies joyeuses (comme la célèbre Yield de l’album Elysion où une fillette décime sa famille avec une bonne humeur à toute épreuve). C’est le cas Sei to Shi wo wakatsu Kyoukai no Furuido qui a de quoi dérouter. Au début j’ai même cru, avec mes faibles compétences en japonais, que c’était l’histoire d’une idol qui mourrait sur scène, mais pas du tout.
Une paysanne sans nom, interprétée par Ceui, entonne un couplet plein d’énergie sur fond de batterie et guitare électrique tandis qu’elle nous raconte qu’elle est régulièrement maltraitée par sa belle-mère (tiens, encore doublée par Miki) et sa demi-sœur suite à la mort de son père (il aurait disparu dans un puits...Idolfreed ?). De bout en bout la chanson reste excellente et rythmée mais précisons quand-même ce qui arrive à cette brave fille : elle fait tomber son fil dans le puits et sa famille lui ordonne dans le très bon passage de 2:45 à 2:53 où on entend un peu de Miki d’aller le récupérer. Et elle se noie. Elle se noie mais visiblement elle devait être tout juste entre la vie et la mort quand Märchen est intervenu parce qu’elle se réveille alors dans un nouveau monde qu’elle croie être le paradis et se révèle être le monde de Frau Holle avec les pommes et les pains qui parlent et lui demandent d’accomplir des épreuves. La brave fille s’exécute sans réfléchir et entame de chanter et de danser en même temps comme s’il s’agissait d’un concert. Ainsi de 4:37 à 5:21 on peut entendre un superbe final très pop-rock. Frau Holle (Azumi Inoue, qui a une voix très "maternelle") intervient alors en personne et offre un marché à la demoiselle : elle devra travailler pour elle. Comme c’est une bonne magicienne, Frau Holle n’hésite pas non plus à récompenser la jeune fille qui s’en retourne chez elle couverte de poussière d’or. La vengeance ? La belle-mère va demander à sa propre fille d’aller aussi dans le puits et même si ce passage est coupé, ceux qui ont lu le conte savent qu’elle ne va rien foutre et que Frau Holle va la punir pour sa paresse : elle reviendra couverte d’une substance gluante noire impossible à enlever. C’est là que résonne le thème de la vengeance alors que l’héroïne se moque allègrement du malheur de sa sœur. La piste est alors rehaussée de quelques chœurs et reprend son aspect pop. Un mélange surprenant mais diablement efficace.
Bara no tou de nemuru Himegimi
Péché : L’orgueil
On reprend sensiblement la structure de Blanche-Neige avec cette fois-ci la Belle au Bois Dormant, interprétée par Mikuni Shimokawa. Elle monologue aussi sur son histoire mais sa voix épurée est parfois interrompue par de brefs instants où résonnent « Siebten Schuld » (7 péchés dans un allemand approximatif) et il y a un passage à la flûte magnifique de 1:00 à 1:16 en plus (ce qui change TOUT, avouez-le). On passe alors au banquet en l’honneur de la naissance de la princesse où -devinez qui brille- la méchante sorcière (Alte Rose) s’invite jouée par nulle autre que Miki, décidément déchaînée, qui livre encore une fois une prestation de qualité à partir de 2:32. La même doubleuse que Frau Holle intervient en tant que fée rivale et le duel se conclut comme il se doit sur un pari sur le temps de vie de la princesse. On en revient au monologue et de 4:00 à 4:24 débute un lent morceau de batterie qui reviendra plus tard. La suite, tout le monde la connaît, la princesse se pique sur le rouet et tombe mortellement endormie.
Et comme pour Blanche-Neige, Märchen dépêche un prince pour la réveiller. A 5:20 résonne donc le thème du prince avec Yume Suzuki toujours très en forme. Sa tirade est interrompue par le chant d’une rumeur qui lui souffle l’existence d’une magnifique princesse endormie. On peut alors entendre de 7:07 à 7:20 la même mélodie que de 4:00 à 4:24 de manière plus dynamique. On repart directement sur le thème de la vengeance qui s’amorce doucement avant de se déchaîner avec de la flûte en bonus. La princesse réveillée par le prince chasse Alte Rose de son royaume et subit sa dernière malédiction qui est en réalité une référence à la piste Majo to Rafurentse de l’album Elysion et qui dit qu’elle va abandonner son enfant dans la forêt (où il sera recueilli par la sorcière Old Rose).
Aoki Hakushaku no Shiro
Péché : la tortu…euh luxure
L’effusion de qualité ne semble jamais vouloir s’arrêter maintenant qu’elle est lancée. Notre prochain conte est celui de Barbe-Bleu mais raconté non pas par sa dernière femme (celle qui lui survit) mais la précédente. C’est Minami Kuribayashi, qu’on avait déjà pu entendre à loisir dans l’album Moira, qui l’interprète. Après un prologue résolument effrayant et rock, les débuts se font soudain hésitants, Minami Kuribayashi semble douter, sa voix est faible, alors qu’elle constate que sa robe préférée est devenue rouge. Soudain elle réalise : c’est parce qu’il l’a tuée. Cette révélation soudaine entraîne un interlude rythmé tandis qu’elle livre son histoire, son mariage avec le terrible Barbe-Bleue que tout le monde craignait et que pourtant, elle aimait sincèrement. Sa complainte se fait alors touchante, des violons s’ajoutent à la batterie et à la guitare électrique. Puis de 3:14 à 4:50, au chœur du chaos, résonne la voix puissante d’Akio Otsuka (mais si, vous savez, Batou de Ghost in the shell, Rider de Fate/Zero et le seul mec intéressant de Paprika) qui campe un Barbe-Bleu parfait, violent, torturé. Il se paye même le luxe de nous exposer comment il a tué ses femmes de 3:30 à 4:08 où les bruitages sont plus qu’explicites. Entre celle qui s’est fait brûler vive, celle qui a été enfermé dans une Dame de Fer et celle qui a été étranglée, il y en a pour tous les goûts !
La vengeance ? L’esprit de la dernière des femmes tuées souffle innocemment à la nouvelle épouse que derrière la porte interdite se trouve un fabuleux trésor (quelle pute) et la piste qui avait repris un rythme un peu moins soutenu se déchaîne de nouveau vers 6:02 lorsque la porte du cabinet s’ouvre, dévoilant les cadavres mutilés. Des chœurs accompagnent alors Minami Kuribayashi de 6:29 à 6:41 tandis que la femme de Barbe Bleu tente vainement de lui résister. La piste se conclut avec le combat des deux frères qui assassinent le tyran sur fond du thème de la vengeance, légèrement plus discret.
Haritsuke no Seijo
Péché : La colère
Après une petite introduction avec des chœurs et du violon de 0:33 à 0:53, épique comme il se doit, Joelle nous revient en tant qu’Elisabeth exactement là où s’était arrêté Kono semai torikago no naka de. Et pour changer, elle ne nous narre pas le passé mais bien le présent tandis qu’elle s’avance vers son destin. Débute alors un passage un peu jazz de 1:30 à 1:55, duo entre Revo et Joelle qui se font mutuellement écho dans leurs paroles : Märchen a oublié sa promesse, Elisabeth ne peut l’oublier. C’est alors en grandes pompes, avec trompettes et violons, que l’on découvre le père/frère de la jeune fille qui lui annonce qu’il lui a enfin trouvé un mari et qu’il serait temps qu’elle passe devant le curé. Ce à quoi elle répond qu’elle ne pourra jamais épouser quelqu’un qu’elle n’aime pas et qu’elle préfère encore mourir. Se lance alors son chant magnifique de 2 :25 à 3:38 , qui s’envole (son motif est celui de l’oiseau), comme un signe d’espoir, jusqu’à ce que le verdict tombe comme un couperet : puisqu’Elisabeth préfère mourir, elle sera crucifiée. Cette partie est visiblement adaptée d’un vieux conte que je ne connais pas donc je ne pourrais pas dire ce qui est original.
Cette fois, Märchen est coupé net dans sa vengeance tandis que la jeune fille affirme qu’elle n’en veut pas à son frère/père et qu’elle ne désire pas sa mort. Des échos de Kono semai torikago no naka de nous parviennent alors sur fond de violon et soudain, à 5:02 Joelle se remet à chanter. Sa voix gagne en puissance à mesure que l’instrumentation s’amplifie et que s’emballent les violons pour un passage volontairement larmoyant, une scène d’adieu. Et c’est bien le thème d’Elisabeth du prologue qui s’enclenche à 6:28 dans un dernier soubresaut et non le thème de la vengeance. Les paroles sont à la fois simples, universelles et touchantes : « Je suis juste Elisabeth, rien d’autre ». La piste pourrait se conclure ainsi mais non, à 6:55 on passe à quelque chose d’entièrement différent puisque Elise, la poupée, essaye de secouer Märchen, resté muet après les adieux de celle qu’il aimait et qui le remerciait d’être venu la voir une dernière fois. Evidemment il ne répond pas et elle commence à paniquer. La batterie et la guitare électrique introduisent une tension et révèlent bientôt la mélodie de Yoiyami no Uta tandis que Saki Fujita se met à vociférer de plus en plus fort jusqu’à ce que sa voix se disloque dans un son électrique comme un automate brisé. Et puis Märchen la ramasse et décide de tout arrêter.
Une très belle piste qui démontre tout le talent de Joelle et qui m’aura fait davantage aimé Kono semai torikago no naka de comme les prestations de Miki m’auront finalement fait aimé Kanojo ga Majou ni natta riyuu (particulièrement dans sa partie finale). Mais la clôture n’est pas encore là.
Gyoukou no Uta
Aube
Pour finir Märchen (l’album, pas le personnage ; oui je sais, on s’y perd) en beauté, on bascule vers un morceau très différent de tous les autres puisqu’il n’est plus composé de fragments de mélodies bout à bout, ce qui le rend plus court. Il n’y a qu’une seule voix, celle de Revo, qui joue März au moment où il s’éteint définitivement, et répond, un peu tard, aux adieux d’Elisabeth. L’instrumentation est constituée de violons et de piano et commence calmement pour aller vers un crescendo de plus en plus épique où s’ajoute d’abord un peu de flûte pour faire bonne mesure, puis du tambour vers 2:37. De 2 :08 à 2:27 on peut entendre les échos de tous les personnages des pistes précédentes et du prologue et à 3 :06 ils rient même tous ensemble comme si März s’avançait vers le paradis. Soudain, à 3:58, le soufflet retombe et on entend un compte à rebours à l’envers. Tout à coup c’est le silence et Revo prononce une phrase très spécifique, que l’on pouvait entendre à 1:01 de Kanojo ga Majou ni natta riyuu lorsqu’il était enfant, marquant sa renonciation. La boucle est bouclée.
Conclusion
Le septième horizon qu’est Märchen représente réellement le chef d’œuvre de Revo (et Sound Horizon en général) : une intrigue riche, ambiguë mais pas totalement incompréhensible non plus, une structure fine, des références aussi bien musicales qu’anecdotiques à ses précédents travaux, des morceaux maîtrisés de bout en bout. Si je reprochais volontiers à Moira d’être un patchwork de fragments minuscule dont seule une minorité était sympathique et trop souvent submergée par le reste, Märchen est une mosaïque où chaque morceau est bon et où les plus excellents apparaissent dans toute leur splendeur. Musicalement abouti donc, et pour une fan de contes de fée comme moi, les versions proposés des contes des frères Grimm présentent également un intérêt certain. Le sieur Revo aura su me redonner foi en Sound Horizon, et ce de manière magistrale. Plus encore, il m'aura révélé Miki, nouvelle recrue que Moira n'avait pas su mettre en valeur. D’une certaine manière, Märchen conclue admirablement la carrière de Revo et je ne peux que chaudement vous recommander d’y jeter une oreille.