Paru encore très récemment, Denpateki na Kanojo est l’adaptation en deux OAVs du light novel du même nom de Kentarou Katayama.
On y découvre Juuzawa Juu un lycéen atypique aux cheveux décolorés et bagarreur qui fuit comme la peste tout contact et préfère rester tranquille. Enfin jusqu’au jour où une fille étrange qui cache ses yeux sous sa frange, Ochibana Ame, débarque et prétend le connaître d’une vie antérieure. Il aurait été roi et elle, son fidèle chevalier. Evidemment Juu n’y croit pas du tout et essaye de l’ignorer, mais non seulement la petite est tenace et le suit partout, mais en plus des meurtres inexplicables ont lieu dans les environs et elle a toujours l’air d’en savoir un peu plus que les autres. Juu décide donc de faire équipe avec elle afin de démêler son implication véritable dans cette affaire…
Voilà donc l’histoire du premier OAV qui se révèle être une sorte de thriller morbide (miam) reposant à la fois sur une ambiance sombre et pesante menée par de beaux graphismes et une bande-son minimale mais bien utilisée, et la prestation d’Ame (doublée par Hirohashi Ryou qui fait Kyou dans Clannad ou encore Rakka dans Haibane Renmei), un personnage aussi ambigu que fascinant. Après un sacré twist, l’épisode se finissait de manière concluante tout en laissant une petite part de mystère sur cette fameuse histoire de vie antérieure.
Et puis quelques mois plus tard, paraissait un second OAV, ce qui en soi-même était assez intrigant puisque tout semblait fini. Après la résolution de l’affaire précédente, Juu a finalement accepté de laisser Ame lui faire office de chevalier (c’était ça ou prendre le risque de la voir pénétrer par effraction dans sa maison à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit donc bon) et tout semble redevenu normal. Mais une fois de plus le duo se retrouve face à un nouveau mystère : une secte qui lynche des cibles prises au hasard, dont Juu. De nouveaux personnages sont introduis, dont les copines d’Ame, qui sont aussi badass qu’elles (notre héros est décidément bien entourée niveau sociopathes), comme Endo Madoka l’androgyne (doublée par Saiga Mitsuki) et Kirishima Yukihime la lanceuse de couteaux (Mai Nakahara). Et qu’apprend-t-on dans ce nouveau récit ? Que de plus en plus de gens joignent une secte qui prône le système des « Hapiness Points ». Selon ce système il est établi que le bonheur s’obtient en étant arraché à autrui. Plus on bousillerait la vie de son prochain, plus ça nous rendrait heureux. Une théorie qui dit comme ça parait totalement farfelue et d’une absurdité crasse, et pourtant quand on y regarde de plus près le système des « Hapiness Points » est certes stupide mais il n’est pas dénué de sens.
Dans une société comme la société japonaise qui prône beaucoup l’intérêt de la collectivité comme étant supérieure à celui de l’individu, on parvient parfois à des débordements extrêmes comme celui de l’« ijime », qui est un problème d’ordre national. Qu’est-ce que l’ijime ? Littéralement « intimidation », l’ijime c’est l’acharnement d’un groupe sur une personne parce qu’elle est différente. L’ijime peut intervenir, au collège, au lycée, dans le monde du travail, mais même à l’école primaire. Généralement les enseignements témoins de ce genre de traitements ne font absolument rien pour aider les élèves en difficulté, ils font semblant de ne pas voir, et nombre de victimes se suicident à cause de cela.
Les brimades arrivent aussi dans les pays occidentaux plutôt portés sur l’individualisme, mais nous n’attachons pas, à mon avis, le même sens derrière ces brimades.
Life, un des rares mangas à faire de l'ijime son sujet principal.
Il y a deux manières d’unir un groupe sous une même bannière : 1) un but commun et 2) un bouc-émissaire. Evidemment, il est bien plus difficile de trouver un objectif qui mette tout le monde content et bien plus confortable de projeter tous les maux du monde sur un tiers. Les groupes ne sont souvent unis que dans l’amour d’une même chose ou la haine d’une même chose, sitôt cette chose disparue, le groupe se détruit de l’intérieure parce que chacun défend des intérêts différents. On peut ainsi mentionner quelques exemples historiques dont le plus marquant a sans doute été l’antisémitisme vu à quelles extrémités il a été poussé. Que fait Hitler en 1933 quand il obtient les rênes de l’Allemagne ruinée par le chômage ? Il cherche à avoir tout le pays derrière lui bien sûr. Un dirigeant qui compte faire la guerre (et à l’origine il n’y avait pas trente-milles solutions pour relancer le pays, il fallait faire marcher l’économie de guerre) cherche à ce que sa politique soit soutenue par son peuple. Et l’Europe étant massivement antisémite à l’époque (l’affaire Dreyfus à la toute fin des années 1800 l’aura prouvé), il était facile de pointer du doigt les juifs en disant la ruine de l’Allemagne était de leur faute (je vulgarise mais c’est un peu ça), et à cause de cela la cohésion de groupe était assurée dans une haine qui débouche sur l’horreur absolue qu’est le génocide. Après avoir constaté l’ampleur de tels massacres on pourrait se dire que les politiques ont retenus la leçon mais en fait non. Après l’attentat du 11 septembre, W. Bush a bien profité de la peur générale à l’égard des terroristes pour déclarer la guerre à l’Irak. Et de nos jours la haine de l’immigré ressemble quand même fichtrement bien à la haine du juif d’antant. Bref, tout ça pour dire que ce système qui est celui de « l’ami/ennemi » (je ne sais plus de quel livre de philo j’ai sorti cette appellation, désolé) a aussi lieu au Japon mais de manière différente.
Life a connu une adaptation en drama du même nom (11 épisodes en tout) qui ne s'en sort pas trop mal
L’ijime c’est au fond le même concept de l’ami/ennemi : on unit une classe dans la haine d’un seul élève (on est tous contre toi, on est donc tous ensemble contre toi, quelle belle harmonie) et tant que ce bouc-émissaire supporte toutes les saloperies qu’on lui fait subir, tout le monde est heureux dans le meilleur des mondes (ironie bien sûr). Si le bouc-émissaire, à bout, se suicide, la classe se retrouve de nouveau éclatée, puisque tout le monde ne s’aime pas, ne se parle pas, ou n’interagit pas selon les mêmes intérêts. Et les petits camarades cherchent donc le prochain bouc-émissaire. C’est le même principe dans le monde du travail, en peut-être plus ténu ; je suppose que la victime se retrouve ignorée et avec le plus de corvées. Mais elle n’a vraisemblablement pas le droit à des jeux aussi vicieux qu’à l’école (dont le jeu du mort par exemple, qui vise à mimer le décès du bouc-émissaire pendant plusieurs jours afin de lui foutre les jetons) puisque ça nuirait à la productivité de l’entreprise.
Pour en revenir à nos moutons, le système des « Hapiness Points » est au fond assez représentatif de cette mentalité dont découle l’ijime. On sacrifie le bouc-émissaire au bien de la classe, on lui vole son bonheur pour s’assurer le sien. C’est écraser ou être écrasé ; choisis ton camp. Lorsque la secte de Denpateki na Kanojo scande que pour être heureux, il faut écraser autrui, en un sens ce n’est pas faux, mais cette manière de penser est juste horrible.
Autre aspect : tout au long de l’épisode Juu se rend compte qu’en réalité, cette secte qui parait absurde, a bien plus d’adhérents qu’il ne parait, dont certains de ses proches, comme Ame qui révèle elle-aussi croire au principe des « Hapiness Points » mais qui procède d’une toute autre manière ; j’y reviendrai plus tard. C’est assez ironique parce qu’à chaque fois on se dit « Quoi ! Elle aussi, elle y croit ? ». Serait-ce une manière de montrer que dans la société il existe bien plus de personnes qui appliquent ce principe, sans même s’en rendre compte ? Une surinterprétation de ma part sans doute, mais ce serait assez intéressant.
Même notre héroïne croit au système des « Hapiness Points » mais comme elle le révèle tout à la fin du second OAV, la manière la plus rapide d’obtenir ces fameux points de bonheur…c’est de fuir la réalité. Tiens donc. Comme c’est étrange. De là à dire que le concept de l’ami/ennemi repose en réalité sur une illusion, il n’y a qu’un pas, et je pense qu’on peut le franchir. L’ijime c’est exactement ça : on essaye de se convaincre que tous nos petits malheurs personnels sont la faute et l’unique faute de Jean-Marie Sigismond qui n’a jamais rien demandé à personne mais qui, parce qu’il est juif/noir/arabe/obèse/a les cheveux de travers/appartient à telle minorité/rayez la mention inutile, se montre un coupable tout désigné. Et tant qu’on lui bousille ses manuels, ses fringues, sa vie, ça nous défoule, on se sent mieux, on n’a pas à se regarder en face dans le miroir pour se dire « S’il m’est arrivé telle merde, c’était quand même un peu de ma faute ». Echapper à ses responsabilités c’est toujours tellement plus commode que de se retrousser les manches et essayer de trouver des solutions.
C’est un peu la morale de l’épisode puisque qu’à la fin l’antagoniste principale, qui vivait complètement enfermée dans son petit monde pour ne pas avoir à ouvrir les yeux sur sa triste vie, finit par être confrontée à ses contradictions et une autre personne (je ne spoilerai pas) qui croyait aux « Hapiness Points » est punie d’avoir voulu suivre le même chemin qu’elle.
Je ne pense pas que Denpateki na Kanojo soit volontairement une référence à l’ijime mais plutôt un reflet d’une mentalité qui couve dans les esprits, ou peut-être même un récit exemplaire tentant de nous montrer pourquoi une quête aussi universelle que la quête du bonheur ne doit pas se faire au détriment de celui d’autrui. Après tout la réaction première du spectateur lorsqu’il découvre cette secte aux idées bizarres est de souligner son absurdité, et donc ironiquement de souligner l’absurdité d’un système qu’il a cautionné sans même s’en rendre compte.
Le concept « Ecraser ou être écrasé » est en effet un concept tacite mais bien réel. Il suffit de regarder un film lambda, comme Le diable s’habille en prada, qui nous montre à un moment l’héroïne en plein dilemme : sa supérieure hiérarchique avec qui elle s’entend bien est malade et la grande patronne lui propose de prendre sa place. Si elle accepte cette occasion unique (une promotion en or comme celle-ci ne tombe pas du ciel tous les jours), elle rend sa collègue malheureuse ; si elle refuse, elle se rend malheureuse.
Y aurait-il donc plus qu’une simple histoire de thriller dans l’anime Denpateki na Kanojo ? Est-ce un reflet de l’ijime ? Une critique de la société ? Je ne sais pas si c’est vraiment le cas mais ce serait une idée bien séduisante. A chacun de se faire son propre avis sur la question.
En tout cas, ce qui est certain, c’est que ce petit OAV de rien du tout se révèle bien plus profond qu’il n’en avait l’air au départ. Et ça, c’est déjà pas mal.