Restons dans le thème des jeux vidéos mais en abordant cette fois un titre qui fait vraiment figure d’OVNI : Yume Nikki. Entièrement crée par un japonais du nom de Kikiyama à partir de RPG Maker, le jeu a récemment été traduit en français et se trouve facilement (et gratuitement) ici. Pour ceux qui connaissent déjà et voudraient une analyse approfondie de Yume Nikki, je vous invite à lire l'article suivant.
Il n’y a pas réellement d’histoire dans Yume Nikki. En réalité il n’y a même aucun dialogue ni récit. Ce qui fait que c’est bien souvent au jouer d’interpréter ce qu’il voit et de créer sa propre histoire à partir des éléments donnés. Et ils sont aussi riches que nombreux.
Vous débutez l’aventure dans la chambre de Madotsuki, l’héroïne. L’espace est clos, étouffant, il n’y a pas grand-chose à y faire. La télévision ne reçoit aucune chaîne et la console ne propose qu’un unique jeu, Nasu, creux et ennuyeux. Dehors, sur le petit balcon, il n’y a rien à faire non plus. Le bureau permet simplement de sauvegarder. Il est également impossible de sortir par la porte pour des raisons mystérieuses, Madotsuki refusant vigoureusement de l’ouvrir si vous essayer de l’approcher. Que faire dans de telles conditions ? Eh bien dormir, c’est la seule manière de s’évader. Une fois dans son lit, Madotsuki est transportée dans le monde des rêves. Vous vous retrouvez dans la même chambre mais la console a disparue et dehors le ciel prend une couleur effrayante. Un son angoissant vous accompagne désormais. Cette fois-ci, vous pouvez ouvrir la porte…
Vous voilà dans le Nexus. A partir de cet endroit peu rassurant vous avez la possibilité d’accéder à une douzaine de mondes, parfois secrètement reliés entre eux par des chemins tortueux, tous plus étranges et plus malsains les uns que les autres. Certains sont jonchés par des yeux, des bougies, des membres écartelés et mouvants, des fantômes, des illusions, des personnes sans visages, des statues ou des créatures glauques. Vous pouvez vous retrouvez tout à tour dans les ténèbres, dans une forêt, dans le métro, dans des univers multicolores ou cybernétiques, dans un désert blanc aux faux airs de cartoons mal dessinés ou encore dans le très redoutable Red Maze, un immense labyrinthe rouge, voire dans le Teleport Maze, dans lequel il est encore plus délicat de s'orienter.
Oui, il faut passer dans la gueule de ce machin pour poursuivre son chemin...
Le but du jeu n’est pas ici de tuer des ennemis (d’ailleurs il n’y en a pas vraiment) ou d’accomplir des quêtes mais d’explorer les rêves dérangés de Madotsuki. Vous ne pouvez interagir avec personne, en ce que les créatures que vous croisez sont muettes ou ne lancent que de vagues sons inhumains, mais de temps en temps il arrive qu’un objet ou un fantôme un peu étrange vous donne un « effet » si vous tentez de communiquer avec eux.
Le vélo est votre meilleur ami dans ce monde cauchemardesque !
Les effets sont des pouvoirs que vous pouvez équiper (un à la fois). Certains sont primordiaux, ainsi la bicyclette (à obtenir d’urgence) vous permet de vous déplacer plus vite, le parapluie d’éteindre le feu, le foulard triangulaire de devenir invisible, le madamaude de revenir au Nexus en cas de pépin (mais en contrepartie Madotsuki a une main à la place du crâne, brr), le couteau de massacrer les habitants des rêves ou le feu de signalisation de stopper le temps. D’autres au contraire, comme les cheveux blonds/longs, le néon ou le buyo-buyo, sont complètement inutiles. Il y a 24 effets en tout et vous devrez souvent vous en servir pour explorer de nouvelles zones.
L'effet tête coupée est assez glauque quand même...
Les mondes en eux-mêmes sont immenses et déstabilisants. On s’y perd en permanence. Quelques fois on y découvre par hasard quelques secrets qui émettent des hypothèses quant au passé de Madotsuki, dont on ne sait rien. On tourne en rond, on explore. On tombe parfois sur des Toriningens, des créatures un peu particulières. Une Toriningen « saine » est aussi inoffensive que les autres habitants. Mais si elle a des yeux roses-rouges, elle devient enragée et vous poursuit sans relâche. Si elle vous attrape, elle vous téléporte dans une impasse et vous devrez vous réveiller puis retourner dans le monde des rêves afin de poursuivre ce que vous faisiez. A noter qu’une Toriningen « saine » poignardée se transforme en Toriningen « folle ». Il est donc déconseillé de sortir le couteau devant ces bestioles là.
Vous pouvez vous réveiller à n’importe quel moment en appuyant sur une touche (ce qui pousse Madotsuki à se pincer) et aller sauvegarder dans votre journal pour retourner ensuite dans le Nexus pour poursuivre l’exploration. Et quand vous en avez assez et que les 24 effets sont rassemblés, il suffira de les larguer dans le Nexus sous forme d’œuf pour déclencher la fin du jeu. Une fin abrupte qui, elle-aussi, vous incite à échafauder les hypothèses les plus folles.
Mais Yume Nikki ne se réduit certainement pas à collecter des effets. Les différents mondes regorgent de détails, de petits secrets, d’évènements à découvrir, tel que Uboa (frayeur garantie), Monoko et ses cinq bras (là encore quand on ne s’y attend pas, c’est absolument flippant), Monoe ou le vaisseau qui conduit sur Mars. Parfois, vous pourrez même trouver des lits (le premier étant celui de la chambre de Madotsuki) et basculer dans le rêve dans le rêve où se trouvent encore d’autres choses à découvrir. En réalité il me semble que le jeu n’a d’autre fin que la lassitude du joueur : le fait de se séparer de tous ses effets durement acquis étant le symbole de cet abandon.
Eyeball World, charmant n'est-il pas ?
Des hypothèses il y en aurait beaucoup à formuler à propos de Yume Nikki. Pour commencer sur Madotsuki elle-même. Nous ne savons rien de son âge (elle pourrait être une enfant, une adolescente ou une jeune adulte, ce qui change tout de même les interprétations qu’on se fait de sa vie) et encore moins de son histoire. Que fait-elle seule dans cette chambre ? Pourquoi refuse-t-elle de sortir ? Pourquoi passe-t-elle son temps à dormir (ce qui trouble totalement toute notion de temporalité) ? Que lui est-il arrivé pour que ses rêves soient dérangés à ce point ? Certains pensent que Madotsuki est une hikikomori, qu’elle fait une dépression. D’autres s’appuient sur le fait qu’il existe des toilettes dans les rêves et qu’elle peut utiliser les toilettes hommes comme les toilettes femmes pour esquisser la possibilité d’un rapport conflictuel avec son sexe (mais là encore, jusqu’à quel point ?). D’autres comptent les personnages comme Monoko, Poniko ou Monoe comme des flashbacks, des réminiscences de personnes décédées ou non que Madotsuki aurait connu. Il n’y a jamais rien de certain. C’est bel et bien au joueur d’inventer sa propre histoire à partir de tous ces éléments disséminés ça et là.
Evidemment, Yume Nikki étant conçu via RPG Maker, il est graphiquement assez simple et concurrence difficilement la plupart des jeux actuels, mais il possède un certain charme visuel. On voit bien que cela a demandé un gros travail et Yume Nikki dégage une ambiance certaine, angoissante et prenante. Du point de vue de la gestion des bruitages, on croirait avoir avoir à faire à un Serial Experiments Lain du jeu vidéo (sur plusieurs niveaux en fait, mais je n'en dirais pas plus) : ça regorge de petits sons partout. Quand vous parlez à une créature, que vous marchez dans le monde musical, que vous testez le piano du vaisseau spatial ou juste quand vous changez d’endroits, il y a tout un tas de petites musiques, généralement de courtes boucles sonores, qui participent à cette ambiance si particulière. C’est glauque, malsain, et les cris des être poignardés à coup de couteau sont brefs mais suffisamment déchirants pour vous ôtez l’envie de tuer tout ce qui bouge (sauf si vous êtes psychopathe, mais dans ce cas, vos rêves à vous doivent être tout aussi sympathiques =D).
En conclusion, Yume Nikki est un jeu très particulier qui ne plaira certainement pas à tout le monde (vu qu’il s’agit d’explorer en permanence) mais qu’il faut vraiment tester, au moins pour voir. Ce n’est plus tant un « jeu » dans ce qu’il a de ludique qu'une expérience à vivre. Madotsuki vous invite dans ses cauchemars, à vous de la suivre dans cette plongée suffocante et fascinante pour démêler qui elle est vraiment. Pour ne pas trop rendre l’exploration fastidieuse, je vous conseille de commencer par parcourir les mondes par vous-mêmes, puis, dès que vous en avez un peu marre, de jeter un coup d’œil à la FAQ (très bien faite, j’ose à peine imaginer en combien de temps ils ont pu trouver tout cela) et de poursuivre de manière plus guidée.
Je crois que ce fan art résume parfaitement le monde de Madotsuki !
Si vous êtes amateurs d’étrange, de glauque ou de tout ce qui touche à l’onirisme, Yume Nikki est le jeu idéal et vous laissera songeur encore longtemps après l’avoir fini. A tester de nuit, le son à fond pour un effet encore plus dévastateur (mais gare à la crise cardiaque, surtout avec Monoko et Uboa).
Il semblerait qu’une grosse communauté de fans tente de donner des suites à cette œuvre mais pour l’instant aucune n’est véritablement aboutie ou ne se démarque des autres. Si quelqu’un arrive à capturer l’essence de Yume Nikki en poussant l’expérience encore plus loin, je crois qu’on aura le jeu du siècle.
En parlant de fangames, si Yume Nikki vous a plus, il y a de fortes chances pour que .flow vous plaise aussi.