Prévoyante comme je suis, j’avais emporté pour le weekend quelques visual novel très courts pour deux raisons : la première étant de m’offrir une distraction entre deux repas de famille chiants et la seconde d’avoir un peu de matière au cas où mes proches me demanderaient de leur expliquer comment fonctionne ce média (et ça n’a pas loupé). Dans le tas, il y avait Tokoyo no Hoshizora, plus connu sous le nom de Red Shift, récemment sorti en français.
Le synopsis anglais, selon Insani, s’apparente à un poème :
This is how
the most selfish girl in the world
and the most selfish boy in the world
make peace:
Bells in the darkness
that ensnare Heaven's silver light
inside the inscrutable polyphony
of far-off constellations.
Derrière cette charmante allocution se cache une histoire bien plus prosaïque malheureusement. Kouya est un orphelin qui vit avec sa grande sœur Hisame depuis la mort de leur grand-père. Comme cette dernière, médecin de renom, est incapable de cuisiner c’est à lui qu’incombe la lourde tâche de faire à manger tous les jours. Un soir, en rentrant des courses il s’arrête dans un parc et fait une étrange rencontre...
Par étrange rencontre, le scénariste signifie "fille au visage angélique de qui le héros va probablement tomber amoureux"
La première chose qu’on remarque avec Red Shift c’est que ce petit VN très court (je l’ai fini en deux heures environ) dégouline de clichés. Notre protagoniste est un gus tout à fait ordinaire au passé plus ou moins tragique qui va, comme de par hasard, tomber sur une belle jeune fille au sale caractère dissimulant un lourd secret. Mikoto, c’est son petit nom, est une tsundere de bas étage, albinos déclarée, et elle aime casser les pieds des gens. Comme de bien évidemment, nos deux héros vont se croiser plusieurs fois, chaque fois pour des discussions un peu creuses à base de cuisine, de chat et de cookies. Oh et le personnage principal est vice-président du conseil des élèves dans son lycée peuplé à 99% de demoiselles vu que c’était une ancienne classe préparatoire réservée aux femmes. L’intérêt de nous dévoiler ce détail ? Aucun, on aura jamais l’occasion de visiter l’école, le décor se limitant au parc et à l’appartement où vit Kouya. Ah, et Mikoto est tellement nulle en cuisine qu’elle confond le sucre avec le sel (je vous spoile méchamment un élément crucial là, j’espère que vous ne m’en voudrez pas :p). Bref, rien de neuf sous le soleil. La différence repose sur les frêles épaules du protagoniste qui ne se contente pas d’être un simple looser ordinaire. Au contraire, il n’a rien de gentil, c’est un sale cynique désabusé qui prend grand plaisir à refuser les caprices de Mikoto simplement dans l’optique de lui enseigner les bonnes manières. A mes yeux le point fort de ce jeu.
Là où Red Shift ne fera pas forcément l’unanimité c’est qu’il cumule des tas de petits défauts qui assemblés laissent un goût un peu amer. Pour commencer les graphismes ne sont pas mauvais. Les décors photographiques sont corrects, les event CG chibi ne sont pas d’une qualité remarquable mais comme c’est du chibi ça se pardonne aisément, et les paper-dolls sont très jolies. Mais voilà, comme dans certains visual novel, Red Shift décide de montrer le visage des personnages en double : une fois via la paper-doll et une fois en miniature sur la boîte de dialogue. Or les deux ne sont pas du tout en accord ! En effet, non seulement les miniatures se finissent sur du noir, comme si les personnages portaient un pull sombre en permanence (alors qu’on voit clairement qu’ils n'ont pas ce vêtement), mais en plus ce sont elles qui captent toutes les expressions ! En d’autres termes, la paper-doll restera immobile la plupart du temps et seul le visage de la miniature changera. Ce qui se révèle très déconcertant puisqu’on a plutôt tendance à regarder la paper-doll (c’est un peu l’image qui prend le plus de place sur l’écran). Il aurait été bien plus simple de supprimer la miniature (sauf pour le héros vu qu’il n’apparaît que de cette manière) et de coller les expressions sur la paper-doll. Et puis j’ai toujours trouvé que ça faisait doublon, ce n’est franchement pas confortable pour le lecteur.
Un exemple de non-synchronisation entre la miniature et la paper-doll
Un autre petit défaut porte sur le fond sonore. Il y a plusieurs pistes disponibles et la plupart sont très biens, l’ennui c’est qu’il y a un morceau, un seul, qui passe en boucle 95% du temps et cela devient vite insupportable. Même en ayant un seuil de résistance élevé, j’ai abandonné avant la fin du premier chapitre et j’ai coupé le son pour mettre ma propre musique (qui était fatalement beaucoup mieux, même passée en boucle). De temps en temps je rallumais celle du jeu pour voir si elle avait changé et tant que la piste fatale ne défilait pas, je pouvais conserver l’ambiance sonore initiale. Cela peut paraître anecdotique mais cela me semble très important car rédhibitoire. Surtout que les autres morceaux sont très chouettes, notamment celui avec les chœurs hachés qui intervient lors des passages les plus mystiques.
La fille mystérieuse aux cheveux de jais, l'opposée parfaite de Mikoto
Ensuite il y a les problèmes relatifs au scénario. Si certaines scènes comiques sont engageantes (le running gag avec Hisame était très bon), les discussions entre Kouya et Mikoto tournent vite à vide. C’est bien simple, ils n’ont rien à se dire. Chacun possède du potentiel, un passé plus ou moins intéressant, mais non, il faut qu’ils se répètent régulièrement « Oh que le ciel est joli » ou « Je te prouverais que je sais mieux cuisiner que toi ». Du coup on n’a pas vraiment l’impression qu’une véritable relation amicale se noue entre eux. Ce qui est d’autant plus critique que c’est sur cela que devrait reposer l’appréciation de Mikoto. C’est bien simple, le lecteur ne peut pas s’attacher à elle, du coup ce qui lui arrive le laisse froid. L’indifférence de Kouya à son égard est tout simplement contagieuse et même si ce dernier a le bon goût de présenter des raisons novatrices et psychologiquement intéressantes à ses actes, l’impact n’est pas là. En réalité il faut attendre la toute dernière phrase avant les crédits, prononcée par la mystérieuse fille en noir, pour obtenir enfin un sursaut de beauté et soudainement se retrouver captivé par ce qui se passe à l’écran. L’espace d’un instant je me suis demandé si c’était bien la fin de l’histoire, si le scénariste trollait. Au fond de moi je savais que non, que la suite allait se dérouler après les crédits, mais j’avais comme l’étrange espoir que le final soit aussi choquant et intriguant que cette scène-là. Et le véritable final n’en est pas un. C’est bien simple, l’intrigue n’a aucune résolution. On ignore le pourquoi du comment de l’existence visiblement si particulière de Kouya, on ignore si ce que l’on vient de faire a servi à quelque chose ou ce qu’il advient du personnage qu’on essayait d’aider dans un pur élan d’égoïsme. Un vrai bâclage en règle...
Le peuple demande moins de cookies et plus d'Hisame !
Au final j’ai été très mitigée au sujet de Red Shift : de bons éléments mais une intrigue résolument trop clichée et prévisible pour qu’on ne voie pas les évènements advenir des chapitres en avance. Pour un jeu amateur, conçu par la team Extra je le rappelle, c’est techniquement très correct, il manque juste cette flamme, ce petit quelque chose d’innommable qui est le propre des œuvres d’art.
Kouya, tu es dans un VN, tu vas forcément la revoir tous les jours dès demain
Sinon, j’aimerai formuler un dernier mot sur le travail de la team française, Tsukiyo-novel. Globalement mis à part quelques erreurs très discrètes et pas bien importantes, il n’y a aucune faute majeure à déplorer, ils s’en sont bien sortis. Par contre, et je pense que c’est dû au fait que c’est un de leurs premiers projets, la traduction est très littérale. Parfois trop. A certains moments on sent qu’ils ont voulu coller très près de l’anglais et ça ne rend pas forcément très bien dans notre langue (il y a pas mal de répétitions pas toujours élégantes et de tournures qui sonnent un peu bizarrement). Je ne sais pas s’ils me liront mais je leur conseillerai vivement d’engager plus de bêta-testeurs à l’avenir, si possible des gens qui lisent couramment, ça permettrait d’obtenir un meilleur polissage, ce qui ne peut être que plus agréable pour le confort du lecteur.
Sinon, je conseille aux mélomanes de prêter une oreille à l'OST d'Aka ~Primitive (dont vous trouverez un medley dans la colonne de droite), elle est bien sympathique.