En voilà un article que je voulais faire depuis longtemps, notamment parce qu’il soulève une question qui m’intéresse au plus haut point et qui n’est pas si fréquemment abordée.
Dans un précédent billet je comparais des pistes tirées de bandes originales d’animes et de jeux vidéo et j’y avais trouvé quelques ressemblances assez troublantes, surtout que plus j’essayais de faire des recherches, plus je débusquais de morceaux de musique similaires et plus le mystère s’épaississait. Alors que je commençais à désespérer, ma petite enquête me conduisit jusqu’à un forum où un internaute posait sensiblement la même question que moi. Sauf que lui obtenait sa réponse et elle fut lumineuse : les samples.
Depuis quelques temps ce phénomène m’intéresse en ce qu’il cautionne partiellement ma théorie de la transmutation littéraire en l’appliquant au domaine musical. Je me permets de m’auto-citer afin de vous éviter de vous farcir l’article en entier pour comprendre ce que je veux dire :
[...]Partir d’un bout d’une œuvre existante et y ajouter d’autres références et un peu de soi c’est de la création littéraire. Il faut bien avoir conscience qu’il est impossible au XXIe siècle d’inventer de la « matière première », tout a déjà été pensé avant par quelqu’un d’autre en somme. La littérature ne peut évoluer que si on dépasse cet état de fait en utilisant l’alchimie : on combine des matériaux anciens, du usé jusqu’à la trogne, pour en faire des mélanges innovants et nouveaux. L’inventivité réside donc dans le dosage et dans l’implication qu’on rajoute.
Les samples fonctionnent sur le même principe, ce sont des échantillons que l’on récupère sur un même morceau ou sur différents morceaux et que l’on modifie afin de créer quelque chose de nouveau. Evidemment si certains artistes font preuve d’inventivité et de créativité (je vous renvoie à l’explication du montage de One More Time de l’album Discovery des Daft Punk, c’est très intéressant), d’autres se contentent de copier un fond sonore et de rajouter un peu de beat et hop, ni vu ni connu, auquel cas on peut vraisemblablement parler de plagiat. Les samples sont partout dans le domaine musical au point qu’une grande partie des titres récents trouve ses racines dans des hits des années précédentes. Si le sujet vous intéresse, je ne peux que recommander la lecture (et l’écoute) du site Samples.fr.
Normalement, je ne devrais rien vous apprendre mais sait-on jamais. Ce qui m’intéresse ce sont les original soundtrack. Grâce à ce fameux commentaire, j’ai remonté la piste jusqu’à un produit nommé Symphony of Voices, une énorme compilation de quatre ou cinq CDs contenant des centaines et des centaines de samples de voix prononçant des voyelles, des assemblages de sons et différents bruitages, le tout en plusieurs variantes (femme, hommes, chorale de jeunes garçons, cela va du plus aigu au plus grave). Ce coffret, qui coûte tout de même la bagatelle de 500€, est donc une véritable mine d’or pour tous les musiciens en herbe. C’est ainsi que j’ai compris comment étaient constitués les chœurs « artificiels » (puisque techniquement ce sont simplement des samples agencées bout à bout dans un ordre précis) de mes morceaux préférés et donc pourquoi des chanteurs n’étaient jamais crédités sur ces pistes-là alors qu’on entendait nettement des voix. Un vrai musicien pourrait vous faire des démonstrations ingénieuses, et d’ailleurs les musiciens doivent déjà connaître ce genre de procédés, mais moi je suis une quiche, je me contente d’écouter bêtement sans trop comprendre comment cela fonctionne. Avec les samples, on entre dans les coulisses de fabrication et je trouve franchement fascinant de pouvoir déceler rien qu’un peu quelle a été la démarche de tel ou tel compositeur pour créer son titre.
J’en reviens donc à ce qui me tourmentait tant la dernière fois : les samples de choeurs grégoriens. Distribués dans des coffrets du même genre que Symphony of Voices, ce sont tout simplement des bouts de chants liturgiques célèbres qui sont interprétés par des chorales et que l’on retrouve absolument partout ! Avec mes maigres moyens j’ai réussi à réunir une petite compilation de toutes les utilisations que je pouvais trouver des chants les plus connus afin de dévoiler enfin pourquoi tant de pistes différentes utilisaient toutes les mêmes fragments et, accessoirement, de comparer comment tel compositeur a choisir de se servir de tel sample par rapport à tel autre.
Je crains que les musiciens ne jugent ce post ennuyeux vu que ça doit leur paraître évident mais ça permet aux amateurs de mieux saisir la construction de ses morceaux favoris et, à l’avenir, de peut-être mieux repérer à l’oreille les différents samples (depuis que je sais comment ça marche, je discerne bien mieux les échantillons à l’oreille donc ça me permet d’affiner ma culture musicale, j’en suis très contente, même si ça gâche un peu la « magie »).
Kyrie Eleison
Le Kyrie est un chant liturgique qui a la particularité d’être en grec et non en latin et il n’est composé que deux phrases « Kyrie Eleison » (Seigneur, prends pitié) et « Christe Eleison » (Christ, prends pitié) prononcées très lentement, ce qui en fait l’un des plus reconnaissables. La piste Kyrie de l’album Red Moon de Kalafina en est une référence directe et on peut entendre nettement un Kyrie Eleison se balader en fin de refrain. On le retrouve également dans un couplet de l’opening d’Elfen Lied, Lilium, pourtant intégralement en latin.
Ergo Proxy OST 1 - New Pulse (Mai 2006)
Compositeur : Ike Yoshihiro
Ergo Proxy OST 1 - Fellow Citizen (Mai 2006)
Compositeur : Ike Yoshihiro
Episode « The Melancholy of Haruhi Suzumiya V» de Suzumiya Haruhi no Yuutsu (Juin 2006)
Compositeur : Satoru Kousaki
Je n’ai pas pu ajouter l’extrait vu qu’il ne fait pas partie de la bande-son, on peut néanmoins le trouver en regardant l’épisode que j’indique, au moment où Koizumi montre à Kyon ses pouvoirs d’ESPER et qu’il rejoint ses camarades pour combattre un monstre géant.
Death Note OST 1 – Kyrie (Décembre 2006)
Compositeurs : Hirano Yoshihisa & Taniuchi Hideki
Sekai Satoyama Kikou OST - Where Every Life Is Beautiful (Décembre 2010)
Compositeur : Yuki Kajiura (Issu de The Works for Soundtrack)
Miserere
Le Miserere (Allegri) est un chant sacré issu du psaume 51 de la Bible lorsque le roi David, après avoir séduit Bethsabée, une femme mariée, se repend de sa faute. Le texte commence par « Miserere mei », soit « Prends pitié de moi ».
Juuni Kokki OST - Sanctus Kihaku (2003)
Compositeur : Kunihiko Ryo
Cette piste est assez étrange en ce qu’elle se découpe en plusieurs temps, tous différents. La première partie est composée du chant magnifique d’une soliste parfois rehaussé de quelques murmures. Le résultat est d’une grande pureté. Seulement voilà, au bout d’une minute intervient une transition basé un autre sample dont je reparlerai, et après 1:30 le Miserere retentit de manière très crue. Il n’y a toujours pas de fond musical perceptible donc on n’a pas vraiment l’impression que Kunihiko Ryo a changé grand-chose. Heureusement que la soliste était là pour compenser.
Episode 1 de Black Cat (Octobre 2005)
Compositeur : Taku Iwasaki
Un gentil commentateur me l’avait signalé sur mon précédent article donc je le remets là car effectivement le premier épisode de Black Cat contient un Miserere accentué par un fort écho.
Basilisk OST III - Ki no Ko (Novembre 2005)
Compositeur : Takashi Nakagawa
Dirge of Cerberus OST - Trigger Situation (février 2006)
Compositeur : Masashi Hamauzu
Ergo Proxy Opus 01 - Prayer (mai 2006)
Compositeur : Ike Yoshihiro
Ergo Proxy Opus 01 – Autoreiv Contagion (mai 2006)
Compositeur : Ike Yoshihiro
The 3rd Birthday OST - Into the Babel (2010)
Compositeur : Mitsuto Suzuki
Agnus Dei
L’Agnus Dei (Agneau de Dieu) n’est pas un chant à proprement parlé mais une acclamation récitée au cours de la messe.
American McGee Alice OST - The Centipede (2001)
Compositeur : Chris Vrenna
.hack//sign OST 2 – Open your heart Reprise (2002)
Compositeur : Yuki Kajiura
Jyu Oh Sei OST - Grab the All (2006)
Compositeur : Hajime Mizoguchi
(J’ai prononcé le mot magique, je m’attends à voir apparaître un lapin d’un instant à l’autre)
Sekai Satoyama Kikou OST - Where Every Life Is Beautiful (Décembre 2010)
Compositeur : Yuki Kajiura (Issu de The Works for Soundtrack)
Comme j’en ai déjà parlé un peu plus haut, je ne vais pas m’éterniser dessus. Il est juste à noter que des Agnus Dei viennent compléter les Kyrie Eleison, offrant du même coup une sorte de super-combo.
Pange lingua
Pange lingua est une prière de Saint Thomas d’Aquin sur le Saint Sacrement de l’Eucharistie et…c’est à peu près tout.
Noir Blanc dans Noir – Church (2001)
Compositeur : Yuki Kajiura
Round Loop
J’ignore à quoi correspond la « Round Loop » sinon à une série sans fin de « aaah » qui tourne en rond.
American McGee Alice - In-game Music (2001)
Compositeur : Chris Vrenna
Juuni Kokki OST - Sanctus Kihaku (2003)
Compositeur : Kunihiko Ryo
Je me suis déjà étendue de long en large sur l’utilisation sur Miserere mais Sanctus Kihaku possède également un petit sample de Round Loop très discret, situé entre le chant de la soliste et le crescendo. Pas parfaitement audible, il semble surtout servir de transition et préparer les chœurs grégoriens.
Ergo Proxy Opus 02 - Busy doing nothing (2006)
Compositeur : Ike Yoshihiro
The 3rd Birthday OST - Immortality of time (2010)
Compositeur : Mitsuto Suzuki
D’entrée de jeu la Round Loop nous accueille. Mais pas pour longtemps puisqu’un autre sample prend la relève de manière plus flagrante, je vais donc plutôt garder mon analyse pour la suite.
O Fortuna
A l’origine « O Fortuna » est un poème médiéval rédigé en latin qui s’adresse à la déesse éponyme, la déesse de la chance. Le manuscrit fait partie de la collection des Carmina Burana transformées en mélodies par Carl Off. La musicalité de ces deux mots en font une composition parfaite pour les morceaux de type « épique » et grandiloquent, d’où sa popularité.
The 3rd Birthday OST - King of Closing Time (2010)
Compositeur : Mitsuto Suzuki
The 3rd Birthday OST - Immortality of Time (2010)
Compositeur : Mitsuto Suzuki
Alléluia
L’alléluia est un chant liturgique bien connu qui a lieu durant la Messe.
Noir OST 1 - Corsican Corridor (2001)
Compositeur : Yuki Kajiura
Ergo Proxy Opus 02 – Deus Ex Machina (2006)
Compositeur : Ike Yoshihiro
L’Alléluia ( ?) maléfique
Celui-là me poursuivra encore longtemps. J’ai beau retrouver ce sample presque à l’identique dans plusieurs morceaux, je suis incapable de reconnaître le morceau d’origine, notamment à cause d’un effet de réverbération qui n’aide pas mon oreille déjà pas très expérimentée. On croit entendre Alléluia mais en y prêtant attention, les syllabes semblent étrangement prononcées. En bref, si quelqu’un a des informations sur ce sample, je suis preneuse.
Noir OST 1 – Les Soldats (2001)
Compositeur : Yuki Kajiura
Shadow Hearts II OST - Evil Gate Opener I (The Fortress Appears I) (2004)
Compositeur : Yoshitaka Hirota
Final Fantasy XIII OST Disc 3 - The Vile Peaks (janvier 2010)
Compositeur : Masashi Hamauzu
The 3rd Birthday OST - Terminus Zero (décembre 2010)
Compositeur : Mitsuto Suzuki
Amen
Amen est une acclamation signifiant « Ainsi soit-il ». Je n’ai pas trouvé des masses de variations alors je me contenterais de celle qui sont présentent sur la même OST :
Xenosaga II : Jenseits von Gut und Böse ~Movie Scene Soundtrack (2004)
Compositeur : Yuki Kajiura
Puisque tous ces thèmes sont liés, autant parler des trois en même temps. Albedo version 1 est un morceau plutôt calme et angoissant avec un fond de violon et ces Amen qui reviennent en permanence comme un refrain halluciné. A l’inverse Strained Albedo version 2 semble paisible. Des tintements de xylophone et ce qui me semble être du piano font entendre une boucle mélodique planante où les chœurs ne sont plus que des échos lointains et inoffensifs. Cela pourrait très bien être une musique de rêve ou de promenade nocturne si le morceau ne s’assombrissait pas soudainement à sa moitié pour retourner à une variante plus rythmée d’Albedo version 1. Dommage, ça donnait presque envie de dormir. Presentiment J.R version 3 s’éloigne des variantes du thème d’Albedo en se composant d’une mélodie au piano assez typique de Kajiura où les chœurs servent surtout d’accompagnement. En tout cas jusqu’à 1:30 où une guitare émerge soudain avec son ami le violon et une guitare électrique pour se donner en spectacle.
Voilà, voilà, j’ai fais le tour de ce que je connaissais. La liste n’est bien entendu pas exhaustive dans le sens où de tels samples sont tellement courants que vous avez tous dû les entendre au moins une fois quelque part. Si vous avez des exemples à rajouter en tout cas, je suis preneuse ; j’aime bien faire des comparaisons. Et puis ce phénomène m’éclaire sur pas mal de choses. Ainsi l’OST de Noir, le premier gros travail de Yuki Kajiura dégouline de samples, tout comme certaines de ses toutes premières compositions, probablement parce qu’à l’époque elle n’avait pas beaucoup de moyens à sa disposition, tandis que par la suite son utilisation s’est fortement réduite et elle a plus volontiers utilisé des chanteuses de son entourage pour soudainement pondre une nouvelle OST fournie en samples avec celle de Xenosaga II, probablement parce que c’était l’une de ses premières grosses commandes pour le domaine du jeu vidéo. De même, l’OST de The 3rd Birthday est sûrement bien chargée en échantillons parce qu’il s’agit de la première fois où Mitsuto Suzuki se voit remettre la charge de composer la majorité des pistes d’une licence très connue de Square Enix (Parasite Eve c’est pas rien). Comme il est de retour en compagnie d’autres compères pour celle de Final Fantasy XIII-2, j’espère qu’il va me donner de la matière en casant des samples quelque part. C'est que cela devient presque un jeu maintenant :3.