Il y a des années de ça, je me souviens être tombé, dans un mini catalogue Soleil Manga, sur un extrait issu d’un manga fort intriguant qui parlait notamment d’un meurtrier multirécidiviste indifférent aux cris de ses victimes. J’ai longtemps cherché ce manga, sans succès. Et puis l’autre jour, alors que je sortais ma carcasse d’asociale pour rendre visite à une amie prépaïste, que vois-je dans sa collection ? Le manga en question. Comme elle est gentille, elle me l’a prêté. Et je dois dire que je ne regrette pas ma lecture…
God save the Queen
Adaptation d’un roman d’Hiroshi Mori par la mangaka Yuka Suzuki, ce one-shot, se déroulant dans un 22e siècle dont on ne sait rien, nous narre l’arrivée de Michiru Saeba et de son compagnon androïde Roidy, qui jusque là étaient perdus dans le désert, dans une ville étrange et paisible, coupée de toute civilisation, un véritable jardin d’Eden d’où le bien et le mal ont disparus. Impressionné par la beauté de l’architecture et de la reine des lieux, Déboh Suho, Michiru pense prolonger son séjour dans ce petit paradis artificiel, malheureusement pour lui, à peine est-il arrivé que se produit un horrible meurtre. Que se cache-t-il derrière la façade idyllique de cette cité ? Voilà ce que découvrira Michiru au terme d’un éprouvant voyage métaphysique…
Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Etrange. Voilà ce qui définit le mieux God save the Queen. Il s’agit d’une histoire profondément étrange et pas forcément très facile d’accès. Par son format de one-shot, la dessinatrice a dû compresser au maximum le roman original (que je ne connais pas) et ça se ressent dans le déroulement du récit. Le tout début est lent, presque planant, et tout à coup tout s’accélère, tout va trop vite, voilà Michiru propulsé, comme le lecteur, en plein cauchemar et tout en allant trop vite, le manga nous propose nombre de scènes contemplatives qui ne prendront sens que dans les toutes dernières pages. D’où une drôle d’impression. Rien n’est jamais ce qu’il parait être au fond. Notre héros, Michiru, hanté par son passé, nous reste un total inconnu pendant près des ¾ du livre et celui qu’on voit au départ comme un très jeune homme un peu farceur, un peu androgyne, se révèle infiniment plus complexe en réalité. Ses cauchemars récurrents, ses réveils en sueur ou la légère différence entre ses deux yeux (presque imperceptible au départ) nous mettent la puce à l’oreille mais sa véritable identité reste encore cachée, enfouie en lui-même.
Voyage initiatique
Ce qui est le plus surprenant dans God save the Queen, c’est que l’histoire se mue en prétexte d’histoire. En effet, ne vous attendez pas à un thriller trépidant juste parce qu’il est question de meurtre. Certes Michiru mène l’enquête, or ce n’est déjà plus une enquête policière mais une quête philosophique. Le meurtre est un point de départ à une réflexion sur la vie, la mort, la folie des hommes et leur besoin d’utopie. Car dans cette ville mystère, comme l’annonce la reine, on ne meurt pas, on entre dans sa « période de long sommeil », ce à quoi Michiru répond que sans volonté un corps, même intact, ne sert plus à rien. Les habitants ont beau être persuadés de la perfection de leur système de cryo-conservation et crier haut et fort que Dieu les fera revivre, il est évident que la cité, n’entretenant aucun rapport avec le monde extérieur, est promise au déclin. Et c’est là qu’intervient un des fantômes du passé de Michiru, le fameux tueur multirécidiviste, menace omniprésente et longtemps absente, fantasmagorique.
Que le fou sauve la reine
God save the Queen est donc un manga atypique, mystérieux, ensorcelant même, qui réserve de nombreux rebondissements. Ainsi le plus grand secret de Michiru, ancré dans son corps, se trouve sous notre nez et pourtant nous ne le voyons ni ne le devinons jamais. Mais la beauté et la complexité de ce voyage métaphysique ne se révélera pas forcément à tout le monde car même après plusieurs lectures, beaucoup d’éléments sont encore dans le flou, laissés à l’interprétation du lecteur. Les amateurs d’étrange devront être ravis.
Extrait de l'annexe présente dans Le Labyrinthe de Morphée
Et quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Autre one-shot adapté par la même mangaka du même auteur, Le labyrinthe de Morphée reprend de nombreux éléments de God save the Queen, dont les protagonistes principaux, et par là on peut dire qu’il s’agit de sa suite spirituelle. Bien que les deux œuvres soient techniquement indépendantes, je vous conseille quand même de les lire dans le bon ordre sinon il va vous manquer un gros bout de l’histoire…
Le labyrinthe de Morphée
Toujours au 22e siècle Michiru et Roidy continuent leur périple. Prochain objectif : réaliser un reportage sur l’île Saint-Jacques (inspirée du Mont Saint-Michel), qui ressemble sur pas mal de points à la ville de Lunatic City de God save the Queen, le dernier indice que possède le jeune homme pour essayer de mieux comprendre celle qui avait été sa petite amie. Mais encore une fois un meurtre se produit dès son arrivée, meurtre qu’on ne tarde pas à lui imputer. Dans sa course pour trouver la vérité, Michiru se heurte encore à des révélations inattendues et de vieux secrets qu’il aurait peut être mieux fallut enterrer pour toujours…
Bizarre, vous avez dit toujours aussi bizarre ?
Le Labyrinthe de Morphée est bien le digne héritier de God save the Queen par son traitement onirique, ses scènes contemplatives dont le sens nous échappera jusqu’à la fin, et son déroulement rapide -trop rapide ?- cauchemardesque. Puisque le passé de Michiru a déjà été abordé dans le tome précédent, on touche ici à ses motivations, sa façon de vivre après avoir vécu un évènement aussi tragique, ainsi que sa relation avec Roidy. Ce one-shot est définitivement plus orienté sur le lien qui unit nos deux compères mais aussi sur des questionnements philosophiques tels que « Les machines peuvent-elles devenir humaines ? ». Le sommeil, le corps, l’âme viennent compléter les réflexions sur la vie et la mort, en ce sens, Le Labyrinthe de Morphée se fait l’aboutissement de God save the Queen.
Sleeping Beauty
Malgré la ressemblance frappante qui unit les deux œuvres (qui commencent toutes les deux par le réveil comateux de Michiru face à une immensité déserte ou qui contiennent toutes les deux une reine à l’apparence imposante et à la chevelure d’une longueur époustouflante), ce one-shot est bien plus complexe encore que le précédent. Même après plusieurs lectures, certains éléments me paraissent toujours incompréhensibles (et quand je dis incompréhensibles c'est vraiment que même avec une volonté de fer je ne comprend pas comment ça peut être réalisable) et je crois que c’est pour cela que je l’aime moins. Ce n’est pas pour autant qu’il faille bouder le Labyrinthe de Morphée mais une fois encore à réserver aux amateurs d’étrange, voire de métaphysique.